Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Lorie suivait Suzanne tandis que Lys observait depuis son épaule. Celle-ci lui présentait les différentes chambres, agrémentant le tout de petites remarques. Son esprit continuait de chercher ce que pouvait bien dire Pokedex et lorsqu’elle serait redescendue, la blonde ne manquerait pas de signaler à Teilo de rester calme au moins jusqu’à demain. Silencieuse Lorie analysait ce que Suzanne disait et elle pouvait ressentir malgré un peu de ressentiment, qu'elle aimait ses frères et sœurs. Lorie pouvait difficilement imaginer ce qu’elle pouvait ressentir face à toute cette agitation, mais elle comprenait en un sens Suzanne. Après tout Lorie aimait aussi sa tranquillité.
Ses pupilles bleues scrutèrent celles de Suzanne, Lorie était calme, rien ne semblait l’atteindre. Pourtant, elle avait bien montré malgré elle que sa sœur était importante, qu’elle se sentait mal, et même triste de son état. Délicatement, l’adolescente mit la main sur l’épaule de Suzanne. « Tu as bien réagi ne soit pas désolée. Lui dit-elle d’une voix compréhensive et calme. Tu connais mieux ton frère que moi, tu l’aimes et le protèges. Il a de la chance d’avoir une sœur comme toi Suzanne. Affichant un sourire chaleureux à la seconde fille des Daroux, elle tapota son épaule. Je n’ai jamais connu cette ambiance chaleureuse qu’il y a entre vous… Au château, c’est… Plutôt froid. Pour se parler, on devait y être autorisées par un adulte et on était séparées avec mes sœurs la plupart du temps dans des cours différents. Je comprends que l’agitation soit pesante au quotidien, je suppose que tout est une question d’équilibre. Lorie marqua un silence. Je suis navrée, je n’aurais pas dû t’imposer la magie de la sorte, finit-elle par dire, faisant allusion à la potion, Perceval et tout ce qui touchait de près ou de loin au monde qu’elle côtoyait. Tu as le droit de ressentir du malaise face à la magie et si un jour cela va trop vite pour toi n’hésite pas à en parler. Teilo comprendra que cette nouveauté peut être difficile à gérer. Quand on la côtoie quotidiennement, on a tendance à l’oublier. Lys gazouilla comme pour appuyer les propos de Lorie. Je sais que c’est inutile de te demander ça, mais… Prends soin d’eux et ne t’oublie pas, d’accord ? »
La mage blanc fit un petit pas en arrière avant d’inviter son hôte à lui montrer la chambre d’un signe de la main gracieux.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
A quoi répondre ? Et surtout, quoi répondre ? Lorie en avait beaucoup dit et Suzanne ne se sentait vraiment pas capable d'en raconter autant en retour. Les logorrhées verbales, c'était le credo de ses frères et sœurs. Le regard fixé sur l'hermine, elle ne laissa planer que quelques secondes de silence malaisant avant d'abandonner. "Ma mère va t'adorer. Tu ressembles beaucoup à Olympia", lui fit-elle remarquer avec un sourire un peu figé. Puis elle fit basculer la poignée de porte derrière elle et entra à reculons dans la chambre de sa sœur.
C'était une chambre assez vaste et lumineuse, aux murs blancs rayés de rose, aux commodes et penderies blanches et au parquet de bois verni. Des rideaux roses encadraient la grande fenêtre que Suzanne s'empressa d'aller ouvrir. Le mur à droite était affublé d'un très grand miroir qui occupait quasiment toute sa surface. Une barre verticale était fixée au miroir. Il y avait une petite horloge en forme de chat sur la commode, près du grand lit à baldaquin.
"Et voilà !" fit Suzanne en se retournant vers Lorie, les mains sur les hanches. "Bienvenue dans la chambre la plus clichée possible pour une danseuse d'opéra ! Il n'y a vraiment aucune faute de goût. Ab-so-lu-ment rien ne dépasse. Tout est rangé, tout est propre, Olympia a sans doute fait le ménage avant de partir en vacances."
Elle semblait grincer des dents de douleur rien qu'à voir le rose sur murs. "Fais comme chez toi. Oh, la salle de bain est juste en face dans le couloir, tu la partageras avec moi et Fabrice. Je dois avoir une brosse à dents en rab et on a des serviettes propres si tu veux prendre une douche." Elle ouvrit la penderie intégrée au mur, révélant une flopée de robes et vêtements légers et clairs. Beaucoup étaient parsemés de motifs floraux, ce qui lui arracha une nouvelle grimace.
Elle finit par revenir près de Lorie avec un rictus. Elle ne pouvait pas s'empêcher de lui demander : "Ça te plaît ?"
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Lorie ne savait pas si cette comparaison avec Olympia était un compliment. Mais au fond elle le prit comme tel. Elle lui offrit un sourire en réponse avant que la petite Daroux ne lui ouvre la porte et ne rentre à reculons dans pièce révélée. Ses yeux parcouraient la chambre comme un astronome le faisait avec le ciel. Ils scrutèrent chaque recoin de ce cocon de vie qui était décoré suivant la personnalité et les goûts de celle qui y vivait. Lorie se sentit un peu coupable de loger dans cet espace sans avoir l’approbation de la fille en question. « Merci Suzanne » répondit-elle simplement. Faire comme chez elle ? Voilà qui était compliqué. Lorie ne se sentait chez elle nulle part.
La blonde s’approcha du grand miroir et fixa son reflet. C’était fou comme elle détestait son image… Ses cheveux aussi blonds que ceux de sa mère, son visage aux traits qu’elle jugeait fatigués… Combien de fois avait-elle cassé le miroir de la salle de bain de sa chambrée l’année passée ? Lorie plaça son visage dans le creux de l’une de ses mains. Elle se frotta le front comme pour faire passer une migraine malgré l’absence de douleur et finalement, elle se retourna vers Suzanne et lui offrit un sourire. L’adolescente fit un petit mouvement de tête approbateur. Elle aimait bien.
D’un pas lent, elle s’avança vers la fenêtre et observa l’extérieur. Elle sortit de l’une de ses poches le flyer que Claire lui avait donné et le relut une nouvelle fois. « Désolée d’avoir brisé tes plans de prospection… Je ne suis pas certaine de comprendre, mais tu veux bien m’expliquer ? » Demanda-t-elle à Suzanne en se retournant pour s’adosser au bord de la fenêtre. Elle montra le flyer présent dans sa main gauche.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
Lorie aimait les fleurs... comme Olympia. Elle appréciait la chambre... comme Olympia. Ou alors elle était trop bien élevée dans son château-prison pour oser émettre la moindre critique ? Suzanne pouvait dire ce qu'elle voulait sur ses parents et leurs innombrables défauts, au moins ils la laissaient s'exprimer librement et suivre les passions qui l'intéressaient. Elle les remerciait secrètement pour ça.
Un petit bip dans sa poche la fit presque sursauter. Elle sortit son téléphone et en alluma l'écran. Flûte. Elle avait bien failli oublier Claire, qu'elle avait promis de rejoindre. En se mordillant la lèvre, elle pianota une rapide réponse... la supprima... en pianota une nouvelle... la supprima... puis une troisième qu'elle envoya.
Lorie, installée à la fenêtre, l'interpella. Suzanne se raidit un peu et se tourna vers elle en s'éclaircissant la gorge. "La prosp.. oh, le flyer ? Claire pourrait t'en parler bien mieux que moi, elle est dans l'association depuis plus de cinq ans. Moi j'y suis entrée il y a... deux mois. J'en avais marre de rien faire, de perdre mon temps à faire du shopping avec mes 'amies', d'aller au 'lycée' apprendre des trucs qui me serviront jamais alors que le monde brûle et c'est facile à comprendre. Suffit de mettre la télé ou de... je sais pas, lire le journal des sorciers ? La fonte des glaces, les super-incendies au Canada, les canicules et les événements météorologiques de plus en plus nombreux, partout sur la planète. Ça fait au moins cinquante ans que les scientifiques préviennent et personne fait rien."
Rougissante, elle prit une inspiration et soupira de dépit. Son ton s'était durci. "Nos parents n'ont rien fait pour empêcher ça." Elle qui ne savait pas trop quoi dire quelques minutes plus tôt ne semblait plus vouloir s'arrêter. Elle restait plantée là, au milieu de la chambre, à déclamer de plus en plus fort un discours qu'elle avait déjà servi des centaines de fois, à table, dans la rue, à l'association, dans les manifestations. "Claire est trop gentille, elle pense que le changement va passer par une prise de conscience du public. Moi je pense que ça suffira pas. Les gens veulent même pas savoir, ils veulent pas sortir de leur petit confort, ils se disent qu'ils seront morts et que c'est pas leur problème, c'est le notre. Ils veulent pas l'avouer, mais ils s'en foutent de leurs enfants !"
Suzanne respirait plus vite, les traits durs. Au bout de ses bras branlants, ses poings étaient serrés. Elle ferma un instant les yeux pour se calmer. Ça ne fonctionnait pas très bien. Perçants, ses yeux fixaient de nouveau Lorie.
"Et vous ? Vous en parlez à Beauxbâtons ? Les sorciers ont plein de pouvoirs, vous devez avoir des druides ou je sais pas ? Vous attendez quoi pour sauver le monde ?"
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Lorie resta bouche ouverte un peu hébétée par le flot de parole qu’elle venait de prendre à l’instant dans la tête. Elle afficha un air gêné et se gratta l’arrière de la tête. Le monde brûlait ? Wow… Il y avait trop d’information à gérer en même temps, trop de colère en Suzanne, dont des procès d’intention flagrants. Lorie balbutia quelques mots avant de reposer son regard sur le flyer. « Non… Peut-être en secret magique dans les années supérieures à la mienne… On étudie les non-magique… Il existe bien des sortilèges ou un objet permettant de changer la météo, mais est-ce vraiment judicieux de modifier les forces en présence ? Lorie prit une grande inspiration, la vérité, c’est qu’elle n’en savait rien. Elle apprenait la magie et elle n’avait fait qu’un peu plus de la moitié de ses apprentissages à l’académie. En observant la voiture sur le flyer, elle tourna celui-ci vers Suzanne. Est-ce que détruire une collection d’une cinquantaine de voitures de sport de luxe ça aide un peu ? »
C’était bien la seule chose qu’elle avait pu faire. « Je pourrais demander à mon maître plus de détail et je t’en ferai part… Il est proche de la nature et c’est sans nul doute le plus grand sorcier que l’on peut trouver en France, un alchimiste de renom et un artisan légendaire… Il doit bien avoir les connaissances qu’il me manque. » Le professeur Delalande devait avoir un point de vue sur le sujet, il devait avoir quelque chose. L’alchimie lui permettait de changer le feu en eau n’est-ce pas ? Alors, si le monde brûlait… Il devait avoir quelque chose pour rétablir la balance. Même si les sorciers n’étaient que trois mille et qu’un sortilège planétaire semblait difficile à mettre en œuvre. Toute cette question rendait Lorie confuse.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
Elle rageait, elle fulminait intérieurement, elle - c'était quoi cette histoire de voitures de sport détruites ? Une blague ?
Suzanne affichait son incrédulité en tordant les lèvres, la bouche entrouverte. Lorie venait de lui dire ça avec un tel calme, c'était forcément une blague. Comment faisait-elle pour rester aussi calme, d'ailleurs ? Est-ce que les sorciers apprenaient des sorts pour ne jamais s'énerver ? Elle l'entendit encenser son "maître" qui savait tout plus qu'elle, qui était forcément le meilleur de tous les meilleurs et se retint de rouler des yeux. Alors c'était comme ça que les sorciers maintenaient leur ordre et leurs traditions ?
Il. Ne. Fallait. PAS. Faire. Confiance. Aux. Vieux. Suzanne avait envie de lui dire direct mais fallait qu'elle se calme. Elle s'était déjà assez tapé l'affiche pour l'instant. Elle ne voulait pas non plus passer pour une hystérique devant une fille qui comptait beaucoup pour Teilo et qui pouvait garder un œil sur lui pendant l'année scolaire pour l'empêcher de faire trop de bêtises.
En soupirant, elle alla se poser elle aussi sur le rebord de la fenêtre, le plus loin possible de Lorie. Dans sa poche, son portable bipa à nouveau. Elle l'ignora. Bras croisés, elle tourna une tête suspicieuse vers la drôle de sorcière. "T'as vraiment dégommé cinquante bagnoles ? Tu... m'expliques le délire ?"
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
La fille en face de Lorie restait silencieuse et la seule réaction de celle-ci malgré sa colère apparente était sans nul doute de la colère. Une colère intérieure forte. Elle suivit du regard la sœur de Teilo s’appuyer vers la fenêtre et prendre place à bonne distance d’elle. Les bras croisés, elle ignora même la sonnerie du téléphone. Une ambiance bien étrange, mais après tout ce qu’elle avait vécu pendant l’année scolaire finalement cela ne semblait pas l’atteindre. À vrai dire, cela faisait plaisir de ne pas être mise sur un piédestal… La championne de l’académie retrouvait un semblant de normalité.
« Cinquante-huit… Dit-elle sur un ton détaché. Puis elle soupira légèrement. Je déteste mes parents, encore plus mon père… Il y en avait une qui avait de l’or dans la boite qui… Elle chercha le mot retient le moteur… C’est d’un tel ridicule. Je sais qu’il y tient beaucoup, il les fait entretenir et les fait rouler tous les jours juste pour qu’elles ne prennent pas la poussière, alors une nuit, j’ai pris une barre de métal faute de pouvoir utiliser ma baguette et je les ai toutes détruites. Lorie haussa les épaules. Ça a durci un peu la punition, j’ai failli ne jamais retourner à l’académie, mais c’était cathartique… Lorie repassait ce moment dans sa tête et cette sensation qu’elle avait ressenti. Cela lui avait fait un bien fou. J’ai prévu de ruiner mes parents… La collection de voitures qui depuis a été réparée, est estimée à… Deux cent cinquante millions de Liards… Pardon… En euro, c’est le double. Donc si je détruis tout ça, plus les avions et les yachts… J’aurais sûrement un bon début. » Conclus Lorie.
Elle prit une grande inspiration. Pour l’heure, c’était compliqué de mettre en place ou alors il faudrait utiliser la magie dans des endroits où elle n’en avait pas le droit. Elle trouverait une solution à ce problème, même si pour cela, elle demanderait à sa sœur de l’aider.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
Non, à coup sûr, elle mentait. On n'était pas dans un manga.
Et si elle ne mentait pas ? Suzanne déglutit, soudain un peu pâle. "Euh... d'accord." Elle était battue. Cette fille était... intense. Plus intense qu'elle encore, bien plus intense que Claire. Elle avait sûrement vécu des trucs horribles pour que détruire les voitures de merde de son père soit un moment cathartique pour elle. Suzanne l'aurait bien envoyée direct chez le psy mais les psys étaient des charlatans, comme les astrologues, les voyants et les commentateurs à la télé.
Les yeux bleus de Suzanne s'arrondirent quand la blonde en remit une couche. Elle parlait de millions d'euros, de détruire des avions et des yachts ! Dépassée, la grande soeur de Teilo entremêlait nerveusement ses mains posées sur ses cuisses. De quoi cette sorcière était-elle vraiment capable ? Elle-même se plaignait beaucoup de ses parents mais ne leur avait jamais vraiment voulu de mal. "Un bon début ?" lâcha-t-elle dans un rire incontrôlé. Elle rejeta fébrilement une mèche de ses cheveux en arrière et reprit un ton plus bas : "Parce que tu vas pas t'arrêter là ? Sérieux, qu'est-ce qu'ils t'ont fait, tes parents, pour mériter ça ?"
Dans sa poche, son portable bipa de nouveau. Elle grimaça mais l'ignora.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
La blonde observait les réactions de Suzanne. Le son du téléphone venait happer le regard de l’adolescente qui fixa l’endroit de la sonnerie. Ça avait l’air pratique comme objet… Elle en avait déjà eu en main, mais jamais elle ne l’avait fait fonctionner. Elle les détraquait à coup sûr. Qu’est-ce que ses parents avaient fait ? À la fois rien et tout. Ils étaient absents et imposaient une éducation que Beauxbâtons avait pointée comme anormale. Le désir d’appartenir à une classe sociale et leur désire de paraître au point d’éduquer leurs enfants comme des membres d’une famille royale était tout bonnement devenu insupportable. Lys toujours perchée sur l’épaule de sa maîtresse l’observait, la tête posée entre ses pattes avant.
« J’aimerais, mais j’ai d’autres projets plus urgents actuellement… Pour mes parents… C’est compliqué… Admit Lorie, je vais passer pour une fille ingrate, comme ils aiment le rappeler, mais… C’était compliqué de trouver les mots. Si tu veux un aperçu, un jour, j’ai fugué… J’ai toujours fugué quand j’étais petite pour échapper à toute la mascarade mise en place pour faire de nous des princesses. Mais jamais je n’étais allée plus loin que le jardin du château. Ma préceptrice me courait après pendant des heures. Les cours au château commençaient à huit heures et finissaient à vingt, tous les jours sans le moindre week-end. On nous donnait une potion énergisante et calmante le matin. On devait demander la parole pour parler, le moindre comportement qui ne leur convenait pas, on était punis, savon sur la langue quand c’était un mot grossier, des lignes, du sport… Ils sont inventifs. Mais l’été avant ma rentrée en troisième année, j’ai convaincu ma grande sœur de m’aider. Je voulais un peu de liberté alors j’ai pris le train et l’avion jusqu’à Bordeaux. Je ne savais pas vraiment où j’allais… Puis je me suis rendue jusqu’à Paris, je me suis dit que je trouverais des personnes pour jouer aux échecs avec moi, faire mon premier tournoi. Quand je suis arrivée, j’ai croisé un camarade de l’académie et il m’a invité chez lui. Son père qui travaillait au ministère à prévenu le mien. Ma préceptrice avait envoyé une tonne de lettre, elle était inquiète. Ce n’était pas vraiment le cas de mes parents, ils s’en fichaient, ils ne voulaient pas que le nom Fleury soit entaché par mon comportement auprès de la communauté… Mon père est venu me chercher, m’a projetée au sol de colère au pied de mon camarade et m’a demandé de leur dire adieu. Puis j’ai attendu deux heures dans la salle d’attente de son bureau, mon frère m’a ramené et j’ai cassé la collection… Le lendemain, il m’a puni. Je suis restée un mois dans la chapelle du château pour réfléchir, seule à recoller un vase en cristal qu’il venait recaser régulièrement. Je n’ai pas pu répondre aux lettres d’une amie, voir mes sœurs. » Finit-elle par expliquer à Suzanne. Lorie haussa les épaules. « Mon père se fiche que ma petite sœur soit dans le coma, ma mère est triste et pourtant elle semble satisfaite d’avoir l’attention sur elle. »
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
C'était sorti comme ça. Suzanne était révoltée par ce qu'elle venait d'entendre. Pour le coup, elle en avait oublié d'être nerveuse. Mais peut-être allait-elle trop loin ?
Euh, non. "Il devrait brûler en enfer pour ce qu'il t'a fait. Pour ce qu'il vous a fait. Il t'a humiliée, il a voulu faire ce qu'il voulait de vous... il vous droguait pour que vous restiez sages ??? Pardon, hein mais... non, pas pardon. C'est un pu***in de psychopathe. Il t'a mise toute seule dans la chapelle pendant un mois ? Il cassait le vase exprès pour que tu le recolles ? Mais..." Elle rit sans joie avant de redevenir sérieuse. "Mais vous auriez du vous barrer de là et jamais revenir. Ils ont pas des services pour la protection de l'enfance chez les sorciers ?"
Elle s'interrompit le temps de reprendre sa respiration. Elle comprenait mieux pourquoi Lorie avait eu besoin de casser des trucs. Maintenant qu'elle savait, elle la trouvait même trop gentille. Décidément, son opinion de cette fille n'arrêtait pas de changer, c'était plutôt déroutant. Son corps s'était relâché, ses bras aussi. Les jambes croisées, elle ne cherchait plus à rester le plus loin possible de Lorie et s'adossait plus naturellement à la fenêtre.
"Et ta mère elle est pas mieux. Si elle disait rien, c'était quand même une complice. Elle veut profiter du coma de ta sœur pour briller en société ? Au mieux, elle est complètement tarée."
Bip.
Suzanne resta fixée sur Lorie quelques secondes. Peut-être qu'elle y avait été fort mais elle ne s'excuserait pas. Elle n'avait dit que la vérité ! "Excuse-moi." Elle sortit son portable de sa poche et consulta l'écran. "Claire arrête pas de demander si je la rejoins bientôt", fit-elle dans un soupir.
Bip.
"Oh-oh." Les lèvres tordues, elle consulta le nouveau message et soupira encore. "Maman est arrivée. Elle est en bas, elle veut que tu descendes." Dès qu'elle eut fini de parler, des pas lourds se firent entendre dans le couloir. En quelques secondes, Teilo déboula dans la chambre et s'arrêta net de courir en les voyant toutes les deux près de la fenêtre.
"Euh... Maman a besoin de parler à Lorie", réussit-il à lâcher tout en essayant de reprendre son souffle. "On sait", répondit laconiquement Suzanne en tendant son portable en l'air. Teilo hocha la tête. Il haletait toujours, il les regardait toujours. Un sourire naissait sur ses lèvres. Suzanne fronça les sourcils. "Qu'est-ce que t'as ?" "Riennn", répondit son petit frère d'un ton faussement innocent. Les deux pieds bien ancrés au sol, il leva un pouce et leur fit un clin d’œil complice.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Ce n’était pas la première fois que l’on traitait son père de connard… Une insulte qu’elle n’avait jamais réellement utilisée, mais elle ne dit rien pour contredire Suzanne. La suite la laissa perplexe. Personne ne méritait de brûler en enfer, pour autant l’adolescente resta silencieuse. Elle n’était pas aussi extrême que la sœur de Teilo. Pour la jeune fille, tout était une question de classe sociale. Peut-être que sans cet argent, leur intérêt serait différent, du moins elle voulait y croire. Elle fit un petit signe de la main pour dire qu’il n’y avait aucun problème, elle comprenait parfaitement et d’une certaine façon, elle faisait bien de répondre. « Alors tu devrais la rejoindre, je suis navrée je t'ai beaucoup trop retardée » Se contentait de dire Lorie calmement.
Puis, à en juger par la réaction de Suzanne, il y avait quelque chose qui clochait. La mère des Daroux était arrivée et… Elle voulait qu’elle descende. Lorie fit un petit signe de la tête et se sépara de la fenêtre. Elle vit Teilo, essoufflé par sa course dans l’escalier. Fixant le garçon, elle s’avança vers lui. Il cachait quelque chose et même quelqu’un qui n’était pas formé à l’occlumencie pouvait s’en rendre compte. « J’y vais » dit-elle en passant devant le garçon, elle franchissait alors la porte de la chambre avant de se retourner. « Teilo reste au calme jusqu’à demain s'il te plaît » demanda-t-elle en espérant que ça suffise pour éviter qu’il ne coure de partout avec son plâtre. Il était capable de glisser et de se recaser quelque chose.
D’un pas lent, elle descendit les escaliers. Un peu gênée, elle ne savait pas vraiment à quoi elle devait s’attendre. Ses yeux se posèrent sur l’adulte et timidement, elle la salua. Pinçant sa robe pour effectuer une petite révérence. Son visage était familier, elle l’avait vu de loin au bal de Noël.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
"Promis, Lorie, je ferai attention", fit Teilo au passage de son amie, un sourire angélique collé au visage. "Ah ! Et elle, tu l'écoutes ?" s'offusqua Suzanne, ce à quoi Teilo répondit par un simple haussement d'épaules sans se départir de son sourire. "Et pourquoi tu souris comme ça ?" "Parce que j'étais sûr que ça allait matcher entre vous." "Dégage de là avant que je t'étrangle." "T'es même pas partie avec Claire !" "C'est pas pour elle que je suis restée, andouille. C'est pour toi." "Awww... c'est vrai ? T'es ma soeur préférée !" "Teilo, recule. Teilo, je ne veux. Pas. De. Cal-ouurf."
Les voix du frère et de la soeur se faisaient plus faibles aux oreilles de Lorie au fil de sa descente. Elle finit par ne plus les entendre. En bas, Lorie put voir que le salon avait été rangé en vitesse. Les livres et documents qu'elle avait trouvé pêle-mêle dans la pièce, sur les tables et meubles, étaient maintenant alignés ou rangés dans la petite bibliothèque qui longeait le mur donnant sur l'extérieur. Aucune carte Pokemon n'était en vue. Sur la table en verre avait été mise une belle nappe jaune pâle sur laquelle étaient disposés deux grandes tasses en porcelaine, une coupole avec du sucre, un plateau de biscuits ainsi qu'un autre présentant un assortiment de tisanes aux divers parfums. Les fenêtres étaient fermées. Il faisait sensiblement plus chaud que plus tôt.
Armelle Daroux, dans une robe bleue ample et couvrante semblant sortie toute droit de l'époque romaine, revenait de la cuisine attenante avec une bouilloire dans les mains. La mère de Teilo avait des rides et le visage tiré. En voyant Lorie descendre et lui faire une révérence, elle lui sourit et hocha poliment la tête. "Bonjour, Mademoiselle Fleury." Son ton était tendre, sa voix était maîtrisée. "Je vous en prie, prenez place. Vous devez être épuisée par les derniers événements, je ne prendrai donc pas beaucoup de votre temps."
Armelle posa la bouilloire électrique sur la table et invita de la main Lorie à s'asseoir. Elle fit de même.
"Avant toute chose, permettez-moi de vous exprimer toute ma sollicitude et celle de notre famille pour ce qui vient d'arriver à votre sœur. Je n'ose imaginer à quel point ceci vous a bouleversé. Mon fils a lui-même été très choqué en l'apprenant." Le visage d'Armelle restait neutre et ses grands yeux en amande, au regard clair et sévère, étaient rivés sur Lorie. Elle croisa les jambes et se détendit un peu sur sa chaise avant de se pencher légèrement en avant. "Pardonnez ma franchise mais cette terrible nouvelle doublée de votre arrivée soudaine m'obligent à vous poser cette question. Est-ce que tout va bien ? Vous n'êtes pas en danger ?"
Armelle avait froncé les sourcils. Elle semblait sincèrement préoccupée.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Il y avait un aspect cérémonial et très cordial qui se dégageait de la scène se déroulant sous ses yeux. Cela semblait tellement différent de tout ce qu’elle avait pu voir avant. La petite discussion entre Teilo et sa sœur ne lui avait pas échappé, elle lui avait même arraché un sourire. Elle était écoutée… Suzanne, visiblement non… On avait tendance à beaucoup moins écouter lorsque les conseils venaient de ses frères et sœurs étrangement.
« Merci madame Daroux, je suis navrée d’être venue sans prévenir… » Répondit Lorie en prenant place à l’endroit exact où la main de la mère l’avait invité. « C’est une nouvelle qui… » Lorie ne prit pas la peine de finir sa phrase. Elle observa la mère de Teilo se pencher en avant. La discussion prenait alors des tournures de confidence. « Il y a des haut et des bas madame, mais je ne suis plus en danger. » Avoua l’adolescente qui gardait en tête cette histoire de mage noir. Par chance, elle n’avait pas moins de cinq gardiens qui seraient prêt à intervenir une nouvelle fois si quelque chose venait à lui arriver. « On veille sur moi » ajouta-t-elle avec un sourire qui se voulait rassurant.
Lorie fixa l’adulte en face d’elle, sans trop comprendre où allait mener la suite de la discussion. Ses yeux bleus scrutaient les réactions de l’adulte, cherchant un éventuel mensonge. « Et vous ? Comment allez-vous ? Vous semblez préoccupée. » Finit-elle par demander d’une voix calme, soucieuse de l’état de la mère. Celle-ci semblait inquiète, et même si elle n’avait aucune raison de l’être, la sensation qui en résultait était pour le moins désagréable.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
Armelle mit un coude sur la nappe et posa son menton dans le creux de sa main. Incurvé en V, il ressemblait beaucoup à celui de Teilo.
"Et je commence à discerner pourquoi mon fils recherchait tant votre compagnie durant sa première année à Beauxbâtons." Un mince sourire apparut au coin de sa bouche. Ses yeux fatigués clignèrent plusieurs fois avant qu'elle ne reprenne : "Pour vous répondre, je suis une mère de cinq enfants. La préoccupation constante est mon état naturel. C'est aussi mon devoir de ne pas trop le leur montrer. Prenez donc un sachet de tisane."
Elle même pinça, entre son pouce et son index, un des sachets présents sur le plateau. "Oh. Verveine", s'étonna-t-elle un peu avant de le glisser dans sa tasse. Puis elle se leva pour verser l'eau chaude et fumante de la bouilloire dans sa propre tasse, puis dans celle de Lorie, si toutefois elle avait fait un choix.
Armelle se rassit et ajouta d'un geste doux un carré de sucre dans sa tasse. "Pas de sucre pour vous, je suppose", glissa-t-elle avec un sourire entendu. Elle se repencha en avant, l'air plus détendu et complice. "Teilo m'a tant parlé de vous que j'ai l'impression de vous connaître déjà un peu." Ses yeux s'arrondirent. "Il vous adule." Elle laissa échapper un petit rire, tout en retenue. "Je pense que vous êtes en partie la raison pour laquelle il ne nous a pas envoyé beaucoup de lettres. Vous et... voyons..."
La mère leva les yeux au plafond, songeuse. Sa voix devenait plus éthérée, comme un voile de tissu fin sensible au vent. "Giovanni, il parle beaucoup de Giovanni. Egalement d'un certain 'Nat', avec qui il aime particulièrement passer du temps à prendre des photographies. Thaïs, qui apprécie les histoires et qui a déjà prévu de nous rendre visite prochainement. Maëlle, Paolo... Il ne parle plus d'Oscar. Ah, et bien sûr..." Son regard retrouva celui de Lorie, "votre petite sœur, qu'il évoque souvent avec une adorable pudeur." Après un rapide sourire, elle reporta son attention sur sa tasse qu'elle touillait délicatement. "Je suis heureuse que mon fils ait trouvé les bonnes personnes pour l'aider à comprendre et naviguer dans son nouvel univers. C'est un étrange univers, insondable par certains aspects et dans lequel nous autres, malgré le secret qui nous lie, resterons à jamais au pire des inconnus, au mieux des étrangers."
Sa voix fine s'était faite un peu dure. Elle laissa sa tasse infuser et reporta toute son attention sur Lorie, l'air très sérieuse. "Je crois aussi savoir que certaines de ces personnes sont, malgré les affres qui peuvent parfois les affliger, malgré les demandes déraisonnables de performance, d'abnégation et de sacrifice qui leur sont faites, suffisamment sages et soucieuses pour trouver parfois le temps de veiller sur lui."
Les yeux d'Armelle interrogeaient Lorie. C'était, bien entendu, une requête. Une requête qu'elle savait un tantinet déraisonnable tant elle avait entendu, lu sur Lorie Fleury, Championne de Beauxbâtons, mais une requête qu'elle ne pouvait s'empêcher de formuler quand même.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
La fatigue commençait à pointer le bout de son nez, l’adolescente était capable de le ressentir dans ses muscles ainsi que dans sa tête. Les yeux rivés sur le visage d’Armelle, elle notait une similitude frappante de certains traits avec ceux de son fils. Sourire aux lèvres, la blonde écoutait celle-ci, était-ce cela d’être mère ? Être préoccupée sans interruption ? Elle n’avait jamais su voir cela chez sa mère, encore moins chez son père et… Cela lui fit arracher une grimace. La mère des Daroux ne devait pas s’oublier pour autant. Elle devait aussi un peu penser à elle, peut-être que le théâtre était finalement fait pour cela.
Lorie adressa un sourire amusé et laissa un rire soufflé s’échapper. « Non merci madame, le verre de coca-cola offert par Suzanne est suffisants pour la semaine » s’amusait-elle à dire. Lorie attrapa un sachet et l’observa. Elle tomba sur le gout fruit rouge et fronça les sourcils. Ça ferait l’affaire pour cette fois. La mage blanc continuait d’écouter avec attention et bienveillance le discours de l’adulte. Il y avait beaucoup de points où elle se sentait idéalisée. Sa sœur semblait beaucoup compter pour Teilo, elle le savait sinon elle ne serait pas là, mais c’était réciproque. Sa sœur avait complétement changé depuis qu’elle avait fait la connaissance énergique du petit Daroux.
La requête de la mère était honnête et d’une certaine façon Lorie n'avait pas attendu qu'elle se formule à elle. « La première fois que j’ai rencontré Teilo c’était à la chapelle, il lisait un livre de créature magique sur les vogeottes… C’est une sorte de… Raie Manta géante… Son comportement se rapproche beaucoup de celui des orques. Il était inquiet, car sa baguette possède en son cœur une écaille… Ou une antenne de vogeotte. Lorie marqua un petit silence. Il était tellement excité qu’il en parlait à voix haute, suffisamment haute pour déranger d’autres camarades. L’un d’eux l’a intimidé et je suis intervenue. Après ça, je l’ai aidé à appréhender sa baguette et plusieurs jours, plus tard, il avait fait de cet élève un ami. » Finit-elle par dire en souriant. C’était ça le pouvoir de Teilo, il arrivait à faire des miracles. Lorie sortit sa baguette et la posa devant elle. « Ma baguette sera toujours là pour défendre les personnes qui me sont proches, ou les opprimés. Lorie lança un regard rassurant à Armelle. Pensée à complétement changée depuis qu'elle connait Teilo, je ne l'ai jamais vu aussi radieuse et expressive, votre fils à une magie que beaucoup ne serait pas capable d’appréhender. »
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
Mais c'était aussi pour elle un douloureux rappel : de tout ce qu'elle avait raté, de tout ce qu'elle allait rater. De ce fils qu'elle ne verrait grandir que par intermittence, si la Direction et les événements le permettaient. De ce garçon si chéri, si petit, si fragile encore et qui s'éloignait d'elle bien plus tôt que prévu. On lui avait volé une partie de son cœur, qu'on daignait lui rendre... mais juste pour les vacances.
Et il en serait de même pour Robin.
La gorge nouée, Armelle dut fournir un effort pour rester de marbre et ne pas se crisper devant la baguette au bois et à la construction raffinés que Lorie venait de produire sur la nappe. C'était un des symboles du sentiment de perte qu'elle ressentait au plus profond d'elle. C'était peut-être aussi un symbole d'espoir ? Lorie, avec sa volonté affirmée de s'inscrire dans le rôle de la Protectrice, lui semblait toute droit sortie d'une pièce romantique et tragique, une de ces rares héroïnes valeureuses si mal desservies par le théâtre classique.
Restait à savoir si, comme Antigone, Lorie Fleury accordait plus d'importance aux actes qu'aux mots. Vu qu'elle n'avait pas attendu de faire cette promesse pour la mettre à exécution, Armelle avait déjà la réponse à cette question.
Que son fils ait eu un impact si profond sur la petite Pensée lui arracha un sourire triste. Elle dut boire une petite gorgée de sa tisane pour faire taire les émotions qui menaçaient de s'emparer d'elle. En reposant la tasse, son sourire était déjà plus contrôlé. "Teilo accorde beaucoup d'importance aux autres. C'est un trait admirable... mais c'est aussi une faiblesse qui lui jouera assurément des tours à l'avenir. Vous semblez partager ce trait avec lui."
Elle soupira avant de reprendre sur un ton plus docte : "Permettez-moi de vous détromper, Lorie. Ce n'est pas de la magie. Je pense, comme bien d'autres avant moi, que c'est tout bonnement la nature des hommes - et des femmes - que de chercher le bien des autres. Parfois, l'éducation qu'on donne à un enfant, les expériences vécues par cet enfant viennent troubler cette nature. Ainsi naissent les monstres et si notre monde en regorge, il doit en être de même pour le votre. Parfois, plus rarement," ses yeux se remirent à fixer intensément Lorie, "cet enfant chahuté et si mal-aimé trouve assez de force pour rester bon. Voilà quelque-chose que je ne peux expliquer. Peut-être est-ce dans ce cas précis qu'intervient la magie dont vous parliez ?"
Elle soupira profondément et secoua doucement la tête. Sa main chaude se posa délicatement sur le fin poignet de Lorie, quelques secondes, pas plus. "Mais vous n'êtes pas venue jusqu'à Lyon pour philosopher de la nature humaine avec moi. Vous êtes fatiguée par votre voyage et par tout ce qui vous pèse par ailleurs, et pourtant vous attendez très poliment que j'en termine avec mon verbiage. Finissez votre tisane si le cœur vous en dit et montez vous reposer. Nous aurons amplement l'occasion de reparler pendant votre séjour."
La main maintenant sur sa tasse, Armelle regardait Lorie. Son visage se relâchait à vue d'oeil : il avait bien plus de vie qu'il n'y paraissait et ses yeux bleu clair semblaient avoir puisé du pétillant quelque part. "Oh ! Vous êtes plutôt pizza ou crêpe ?" demanda-t-elle subitement, la tête légèrement penchée et le sourire mutin aux lèvres. Le ton espiègle et chaleureux de la maman était à des années-lumière de celui tout en retenue qu'elle avait employé jusqu'à présent. C'était celui de Teilo.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Lorie écouta tout le récit, celui où le fait d’accorder beaucoup d’importance aux autres étaient une faiblesse. Mais également tout le discours sur la nature humaine. De temps en temps, elle acquiesçait d’un petit geste de la tête. La blonde n'était pas d'accord avec tout mais elle saisissait l'idée de l'adulte en face d'elle. La main sur son poignet fit descendre le regard de Lorie sur le geste. À part madame Louise personne ne lui avait jamais fait un geste comme celui-là. Néanmoins, elle savait l’interpréter, elle se souvenait parfois le faire, c’était un geste mesuré et qui se voulait rassurant… Un geste complice. Lorie remonta son regard sur la femme et lui adressa un sourire.
« Vous pouvez me tutoyer, madame » lui dit-elle toujours souriante. Elle était habituée au vouvoiement, pour autant depuis sa rentrée en quatrième année, Lorie avait complétement changé. La petite princesse avait laissé place à une fille s’exprimant de façon plus normale aux yeux des autres... Du moins un peu plus normalement. « Pour le choix… J’admets que je ne sais pas… Ces deux plats me sont, étrangers. » Finit-elle par avouer. Lorie avait plutôt l’habitude de la cuisine gastronomique. Quoi que Lorie eût bien découvert son premier croque monsieur grâce à Drian et son premier hamburger grâce à madame Louise. Finalement, petit à petit, elle commençait à découvrir autre chose que la gastronomie imposée par ses parents.
Les yeux fixant désormais sa tasse de tisane, la petite blonde se mit à bâiller. La main devant la bouche et malgré ses efforts pour s’en empêcher le réflexe fut plus fort qu’elle. « Navrée… Je crois bien que vous avez raison, les voyages non-mag’ demande plus d’énergie que je ne le pensais. Vous désirez de l’aide ? » Proposa finalement Lorie avant de prendre entre ses mains la tasse et de la porter jusqu’à ses lèvres.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
"Lorie... va te reposer. Il n'y a rien à faire." Elle se redressa soudain et porta le portable à son oreille. "Oui, allô ? Gino ? Je.. oui, merci ! Oui, je... ha. Vraiment ?" Armelle s'accouda à la table. "Hmhm." Elle but une nouvelle fois de sa tasse et fit signe à Lorie d'y aller en roulant des yeux. Ça pouvait durer longtemps. "Tu as l’œil. Une Rolls-Royce ? Hm-hm. Oui, c'est une amie de Teilo. D'ailleurs, nous l'invitons chez toi ce soir. Pourrais-tu nous réserver une table pour six ou sept personnes ? En terrasse, oui. Oh, non ! Tu dois me raconter ça."
Le repas avait été, comme toujours avec les Daroux, animé. Tout le monde dans la famille semblait d'humeur légère en cette soirée chaude et moite de juillet. Dans les cliquetis des couverts, le bruit de fond des tables avoisinantes et des voitures qui passaient lentement dans la rue, les conversations avaient fusé, diverses et changeantes. Teilo et sa toute nouvelle lubie de dessiner tout ce qu'il voyait (il avait d'ailleurs amené du papier et un crayon), la nouvelle campagne jdr de Fabrice ou il y avait forcément des sorciers, le faux accent italien de Gino, le patron du restaurant qui roulait si mal les r, la protection de la planète, la structure Karlsbad aux échecs, la production actuelle de la troupe de théâtre d'Armelle (Bérénice de Jean Racine), et surtout, surtout, le grand débat : quelle était la meilleure pizza du restaurant ?
Suzanne, qui était végétarienne depuis deux mois, avait pris une pizza Misto, Fabrice une Folle Blanche avec toute la viande possible dedans, Robin une Quatre Fromages dont il avait passé la moitié du temps à enlever le gorgonzola parce que "c'est pas bon" et Armelle une Lune de Miel parce que le nom l'inspirait. Chaque membre de la famille Daroux avait ensuite tenté de convaincre Lorie d'arrêter son choix sur la pizza qu'ils avaient prise parce que c'était très objectivement la meilleure. Teilo, comme souvent, n'avait pas réussi à se décider devant l'avalanche de pizzas au choix dans le menu. Chacun(e) lui avait donc passé une part de sa pizza et au final, il avait tout aimé.
Les assiettes étant débarrassées, les ventres plus tendus et les sujets de conversations taris, arrivait ce moment fatidique ou chacun se demandait un peu quoi faire ou quoi dire. Teilo s'était remis à dessiner. Robin terminait encore de picorer sa pizza. Suzanne pianotait sur son téléphone portable et Armelle sirotait un verre de vin rouge italien en regardant passer les passants. Seul Fabrice ne savait pas trop quoi faire de son corps. Il gesticulait un peu sur sa chaise en jetant des regards en coin à Lorie.
Ce moment délicat ne dura que quelques dizaines de secondes car ce fut bientôt le patron lui même, Gino, qui déboula en personne et carnet en main pour prendre la commande des desserts. C'était un homme bien en chair vêtu d'un tablier blanc maculé de graisse et à la moustache imposante, huilée et brossée. Il avait l'énergie, la bonhommie et la faconde que le quidam imaginait chez les italiens.
"Ciao Vicini. Ciao, bellissima signorina !" Les Daroux répondirent Ciao en cœur, chacun(e) avec sa propre dose d'enthousiasme. "Hoo, mais regardez-moi ça ! Voilà le Bambino Teilo, qui veut toujours tout fairrre comme sa grrrande soeur ! Tu n'étais pas obligé de te casser le pied toi aussi !" Teilo, qui finissait les trottoirs que Robin lui avait passé en douce, parut surpris un moment avant de se rappeler que oui, il avait encore le pied gauche dans le plâtre et était sensé avoir super mal. Oups, il n'avait même pas pris les béquilles pour venir.
"Euhhh t'en fais pas Gino, c'est rien du tout !" "Mia madre, tou es une forrrza de la nature ! Tou va pouvoir continuer à étoudier la danse, rassourrre-moi !" "Hm-hm" fit Teilo, les yeux grands ouverts. "Hé, Gino !" "Si, Fabrizio ?" "On te demande en cuisine !" "J'arrive. Mi scusi, Vicini. Je reviens tou de suite !"
Teilo s'enfonça dans sa chaise avec un râle de soulagement. "C'est clairement du fake. Ce mec est une arnaque." "Non, je pense pas." "Faut sortir un peu de ta grotte, Fabrice. Aucun vrai italien ne parle comme ça." "Il exagère juste parce que les clients aiment ça." "Hem, les enfants", coupa Armelle d'une voix douce et tranchante à la fois, ce qui mit immédiatement fin au nouveau débat. Les regards des ouailles se tournèrent tous vers Maman qui, elle-même, regardait Lorie.
"Voilà qui amène un sujet plus épineux sur notre table. Lorie, sache que j'apprécie le geste que tu as fait tout à l'heure pour Teilo-" "Ouais, merci Lorie ! Je vais pouvoir faire plein de vélo et-" "Cependant ! Nous avions convenu avec mon mari qu'à son âge déjà avancé, il était vraiment temps pour Teilo d'apprendre à faire plus attention à ses gestes. Il doit assumer pleinement les conséquences de ses actions. Je loue d'ailleurs le règlement de votre Académie qui est assez clair à ce sujet." Elle regardait sèchement Teilo qui semblait soudain vouloir se fondre dans sa chaise. "Il était donc hors de question pour nous d'user d'un quelconque subterfuge pour réduire son temps d'immobilisation." "Pfff" réagit faiblement Teilo en regardant son assiette. Armelle l'ignora, préférant observer Lorie. Suzanne, Fabrice et Robin semblaient un peu gênés et n'osaient pas trop bouger.
"Mais je ne t'en veux pas. Ce qui est fait est fait. Teilo a rendez-vous dans trois jours à l’hôpital pour faire le point sur sa fracture. Il nous reste juste, je suppose, à mentir aux médecins", conclut la mère dans un soupir. Robin se redressa soudain dans sa chaise avec un petit rictus malin : "Ben oui, on a qu'à mentir. C'est pas compliqué, hein !" Suzanne regardait Lorie, comme Armelle. Fabrice, lui, regardait ailleurs. Quant à Teilo, il avait replié sa jambe pour poser le pied sur sa chaise et observait pensivement le phénix que Lorie avait dessiné sur son plâtre.
Lorie Fleury
6ᵉ année, Déléguée, Ogme
Lorie afficha un énième sourire en hochant la tête. Pizza, c’était très bien, une perspective et une découverte qui serait sans nul doute merveilleuse. La blonde observait la mère de famille qui lui avoua qu’il n’y avait rien à faire. Bien sûr l’adolescente allait insister, mais alors qu’elle venait simplement d’ouvrir la bouche, la mère de Teilo était déjà occupée au téléphone. C’était donc cela ? Elle allait commander comme madame Louise l’avait fait ? Ah non ! Ils se déplaceraient. Lorie fit un petit mouvement de tête pour remercier Armelle et tourna les talons, amusées par les quelques brides qu’elle pouvait entendre.
Le choix fut difficile pour la petite blonde qui avait mis un temps fou à commander sous le regard de la petite famille. Elle s’était excusé une bonne dizaine de fois et finalement, elle avait jeté son dévolu sur une Regina. Son nom était simple, sa composition aussi. Elle ne pouvait pas avoir de mauvaises surprises. Quand la pizza arriva, elle coupa un morceau et le porta jusqu’à ses lèvres. Après l’avoir dévoré, elle fixa son regard sur le plat. Elle avait du mal à réaliser, mais une chose était certaine c’était au moins aussi bon que le hamburger qu’elle avait mangé à Modena durant son tournoi d’échecs. La blonde peinait à y croire. « C'est délicieux... » laissa-t-elle échapper. Comment pouvait-on faire aussi bon et aussi simple ? Elle aussi avait donné une part au petit Teilo. L’ambiance était tellement différente de ce qu’elle avait l’habitude de vivre.
Alors qu’elle était loin de souffrir de la chaleur grâce à l’enchantement qui était sur sa robe, Lorie profitait du moment et son regard curieux venait se poser à tour de rôle sur les différents membres de la famille, les passants et de façon plus générale… La rue.
Les yeux rivés sur l’italien, Lorie l’observait avec des yeux d’incompréhension et ce n’était pas le débat qui fut coupé par la mère de Suzanne et Fabrice qui lui permit d’apporter une réponse à sa question. La suite gêna un peu la blonde qui en un sens comprenait, ce que les parents de Teilo avaient voulu faire et d’une certaine façon cela lui paraissait rude. La blonde prit le temps de réfléchir un instant. « Je suis mal placée pour répondre, ayant arrêté de compter mes fractures de l’année à ma cinquième… Je comprends votre position, seulement, je ne suis pas certaine qu’une immobilisation de deux mois soient réellement intéressante. Ni pour lui, ni pour vous… Ce sont les premières réelles vacances de Teilo depuis son entrée à… L’internat, ses premières vacances avec vous également… N’y a-t-il pas une autre méthode pour qu’il puisse prendre conscience des conséquences de ses actions ? Lorie marqua un silence, c'était des paroles naïve et peut-être utopique, mais Teilo n'avait à son sens pas besoin d'une immobilisation si longue pour comprendre et faire attention à lui. Pour l’hôpital, un mensonge me paraît adéquat. Ma tante est une experte si vous le voulez. Lorie montra une petite serviette rouge sur la table. Même avec les yeux fixe sur la serviette elle arriverait à vous convaincre qu’elle est bleue, sans que vous ne songiez à remettre en cause ses paroles. » Dit-elle admirative d’une telle capacité. Elle aussi arriverait un jour à ce niveau.
Teilo Daroux
3ᵉ année, Délégué, Lug
Robin, lui, était tout content. Lorie venait de lui donner raison : il fallait mentir. Elle expliquait même que sa tante, très certainement une sorcière, pouvait faire croire n'importe quoi aux gens. "Cette serviette est bleue", disait Fabrice, penché en avant sur la table. Ses yeux plissés fixaient intensément le bout de tissu que leur avait pointé Lorie du doigt.
"Elle est rouge, Fabrice", soupira Suzanne sans quitter sa mère des yeux. Fabrice restait concentré sur la serviette : "C'est une question de perception. Pourquoi elle ne serait pas bleue, en fait ?" "T'es daltonien, maintenant ?" "Non mais, comment savoir ? Si ça se trouve, ce que je vois rouge est en fait bleu. On nous dit que c'est rouge mais chacun a sa propre perception. Et comme je ne peux jamais voir exactement ce que tu vois pour comparer, en fait, on ne saura jamais. Tu vois ?" "Rah, mais arrête de nous embrouiller, là ! Et arrête de fumer aussi." "Elle est rouge", clama Robin avec certitude. Il se tourna vers Lorie, qui était assise sur sa gauche et lui chuchota d'un air entendu : "On apprend ça dans quelle matière à l'Académie ?"
Teilo ne participait pas à la conversation. Il continuait de regarder l'oiseau sur son plâtre, la mine un peu sombre. Comme souvent, les grands discutaient de lui, de ce qui était bon pour lui comme s'il n'était pas là. Alors qu'il était quand même juste à côté. Et puis franchement, l'accident, c'était pas de sa faute. Il avait juste voulu éviter-
"Merci de nous proposer l'aide de ta tante, Lorie." A nouveau, toutes les attentions se reportèrent sur Armelle. "Mais je pense être assez bonne comédienne pour parvenir à convaincre des médecins surbookés et qui seront bien soulagés d'avoir une petite pause avant le patient suivant. Et le tout grâce à un simple pouvoir plus commun qu'on ne le pense..." "Le mensonge ?" intervint Robin en souriant. "Le sophisme, mon enfant." "Le quoi ?" "Et un certain charme", compléta Fabrice, ce qui fit grimacer Suzanne. "Arrête." "Quant à Teilo..."
Tous les regards se portèrent sur Teilo. Il afficha la tête d'un animal qu'on amenait à l'abattoir.
"A défaut d'une punition toute naturelle pour sa maladresse à vélo... et puisque tu es responsable de cet état de fait, nous comptons sur toi, Lorie, pour trouver la méthode adéquate." "Hein ?" s'étonna immédiatement Suzanne avant de réaliser que si, c'était super intéressant en fait. Elle se pencha vers Lorie, les lèvres étirées en un sourire machiavélique : "Si tu veux, je peux t'aider à lui trouver des punitions." "Moi aussi !" "Moi aussi." Seul Teilo ne semblait pas heureux de la décision de sa mère. "Euh, sinon, je peux aussi me re-casser la jambe ?" proposa-t-il avec un entrain factrice mais personne ne releva. Armelle fixait toujours Lorie avec un petit sourire malicieux. "Si je ne me trompe pas, tu es une déléguée à l'Académie ? Je ne doute pas que tu sauras quoi faire. Oh - veuillez m'excuser. Je dois prendre cet appel." Le portable dans la poche de la mère Daroux venait de sonner. Elle se leva rapidement de table et se mit à traverser la rue en parlant : "Oui, Nathalie. Hm-hm. Non, pas demain..." "Bon moi, faut que je file, je vais à une soirée avec Claire et Nico". Suzanne se levait déjà de table. "Je peux venir ?" demanda Fabrice avec espoir. Suzanne posa sa main sur la tête chevelue de son frère et se pencha vers son oreille pour lui dire sans même chuchoter : "Dans tes rêves." "Oh, Grande Sœur, si tu connaissais mes rêves.." "Non ! Non, je t'assure que personne ne veut connaître tes rêves. Bye tout le monde, soyez sages ! Surtout Teilo !"
"Surtout Teiloo", la singea Teilo quand elle fut assez loin. Il avait maintenant mis ses deux pieds sur sa chaise et entourait ses jambes repliées avec ses bras. Heureusement, il commençait à se faire tard et les tables d'à côté s'étaient vidées. Aucun autre client ne pouvait lui faire remarquer qu'il se tenait mal. La rue était plus calme et il y avait même une petite brise plutôt agréable. A sa gauche, Robin commençait à s'endormir, la tête dans son assiette. Et en face de lui, il y avait Fabrice qui, comme tout à l'heure, était soudain super nerveux à regarder Lorie du coin de l’œil.
"Ben demande-lui", fit Teilo en haussant les épaules. "Mais chuuut !" Fabrice tapa du pied contre le barreau de sa chaise. Teilo pouffa. Ce n'était pas très discret. Il leva la tête vers le ciel déjà sombre et où il ne pouvait voir paraître aucune étoile. "Lorie... Fabrice a un truc à te demander." "Mais.. non mais rien non j'ai pas du tout !" Teilo sourit un peu. D'habitude, son grand frère était sympa et à l'aise avec tout le monde. Le voir aussi gêné et rougisseant devant Lorie, c'était quand même rigolo. Il pencha la tête vers son amie et précisa un ton plus bas : "Je crois que c'est par rapport à tes... ancêtres."
Teilo remua les sourcils pour se donner encore plus l'air conspirateur. Fabrice, lui, enfouissait sa tête dans ses mains. Robin ronflait un peu.
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