BEAUXBATONS.ORG

« Mais qu'on m'éteigne cette radio ! Encore cette Fonte-à-la-noix et sa tôle de malfrats... Rosier se retourne dans sa tombe, moi j'te l'dis ! » caquète Talbert Auteroche entre deux mâchouillâges de dents, en manquant de briser la poutre de bois au-dessus de lui d'un fâcheux mouvement de sa centenaire baguette. Et au père Alambert de répondre en martelant ce qui s'apparente à du cuivre suranné dans la pièce d'où s'échappent quelques volutes de fumée :

« J'te jure... Philibert, tu veux pas m'remettre l'interview avec l'autre d'Epine d'Or qu'j'ai vu dans l'Cri d'la Gargouille ? J'me lasse pas d'sa voix ! »

Le petit Philibert aidait son père à remettre à neuf les chaudrons de la seule famille de sorciers alentours et des collectionneurs de vieilles babioles auprès desquels il s'est construit une certaine notoriété - ce dernier voulait, par ailleurs, lui apprendre tous les rudiments de son art. Alors qu'il s'apprêtait à tourner le bouton de la radio posée sur le manteau de la cheminée toussaillante, un vol d'oiseau au-dehors annonçait l'arrivée attendue de sa mère, Odèle. Comme à son habitude, elle avait avec elle, perchés dans une cage exiguë, des oiseaux qui semblaient mal-en-point ; patte cassée, bec scarifié, corpulence malingre...

« Pauv' piafs ! Deux trouvés sur l'chemin comme ça, trois qui viennent d'la bâtisse au nord. Ils sont sympa les Gauthier, mais h'reusement qu'les Auteroche sont là pour passer derrière eux ! »

Du côté de la famille des Sizerin, dont descendait Odèle, Philibert avait appris qu'il se gardait les secrets séculaires de la guérison des oiseaux. Il trouvait plus passionnant de regarder sa mère panser une aile d'un tour de baguette dans la cahute accolée à la cuisine plutôt qu'écouter déblatérer son père sur l'histoire des premiers chaudronniers - ça, il en était sûr ! Philibert comprit donc assez tôt pourquoi les frontenacais surnommaient la maison des Auteroche, l'« Oiseleur ». Dans la famille, il était de tradition de subvenir à ses prochains : sa mère s'occupait des oiseaux, qu'ils appartiennent à quelqu'un ou à la nature, tandis que son père (et autrefois son grand-père) réparait chaudrons et vieilles choses qu'ils soient de cuivre, d'étain ou d'acier.

Les Auteroche n'ont jamais daigné penser à s'installer avec leur communité à Osse-en-Bazar, ville la plus proche où ils pourraient faire carrière et le fils, des amis. L'Oiseleur était une affaire de famille, et tant que le croulant Talbert n'eut pas rendu la baguette au vieux chêne, les racines restaient en Gironde. Alambert s'y rendait toutefois quelque fois par mois car il n'y avait pas d'apothicaire à Frontenac et leur potager ne pouvait pas faire pousser toutes les plantes dont avait besoin la mère. Surtout, il y rencontrait au café Arias des vieux amis de Beauxbâtons qui habitaient Guernica, quand ceux-ci n'étaient pas eux-mêmes occupés au ministère de Madrid... Aussi, Odèle souffrait d'une peur chronique de la foule et préférait rester loin de la civilisation qui la rendait malade. Tous les Noël, il se racontait à la table la charmante histoire où elle dû amener un picolaton qui pondait du charbon au département des interventions magizoologiques, au Ministère. La pauvre s'était rendue plus malade que l'animal et avait fini à Port-au-Plâtre. Les guérisseurs en avaient déduit qu'elle avait un « mal de la Cheminette » (dans la famille, aucun n'a obtenu le permis de transplanage - du moins, ils en déduisaient qu'ils n'en avaient pas besoin).

Le petit Philibert avait donc non seulement hérité d'une tradition patronymique plutôt cocasse (son arbre généalogique en témoigne : Philibert, Alambert, Talbert sans oublier ses aïeux Caribert et Albertius), d'un savoir-faire magique venant de sa mère et de son père et d'un certain relationnel avec les non-magiques car aussi était-il missionné par son père quand celui-ci avait trop de pain sur la planche.

Pour autant, Philibert se destine-t-il à perpétuer ce patrimoine ?

Philibert, lui, voulait continuer à écouter la Ministre parler de la nouvelle maison d'arrêt, n'avait pas peur d'écouter l'actualité du côté de Ribinski, extirper de l'oubli un ouvrage relatant le septennat Chouinière. Et cette curiosité historique, il la devait à celui qu'il appelait, de sa voix d'enfant, "M'sieur Alphonse", un vieux soldat dépourvu de magie, qui lui racontait les faits de l'autre côté de l'Histoire, l'histoire des non magiques. M'sieur Alphonse connaissait les Auteroche, mais, comme le secret magique le promulguait, il ne savait guère qu'ils étaient des sorciers. La relation entre leur fils et M'sieur Alphonse était pour eux aussi un mystère. Que lui dira Philibert avant qu'il ne parte à Beauxbâtons ? Il ne veut pas partir loin de ses sages récits...