Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Un Tac.
Aliaume Delalande se massait les tempes comme on masse ses méninges pour les forcer à trouver quelque chose. En l’occurence un Tac. La mystérieuse créature exigée par les gargouilles des remparts en contrepartie d’un ragot n’existait nulle part dans sa fichue mémoire ! Pas même dans la chapelle, siège de toute la culture magique dont était pourvue cette académie. Le vieil homme était pourtant certain d’avoir déjà entendu ce nom quelque part — sans savoir à ce moment-là qu’il s’agissait de l’expression du tac au tac… Lassé de réfléchir à plein régime dans son bureau, il s’équipa de tout ce qu’il pouvait emporter pour une chasse en bonne et due forme : un filet à papillons, une lampe à lucioles, une boîte en bandoulière qui contenait toutes sortes d’appâts, une cape qui imitait à merveille un tas de feuilles mortes, une corde magique, un coquillage à voix, une besace de herboriste, des pétards, et, bien évidement, sa baguette et son bâton de marche.
Équipé de l’attirail au complet, le vieil homme se rua — comprendre qu’il se déplaça aussi vite que possible avec ses deux hanches en carton — dans les jardins enchantés par cette belle et fraîche nuit d’automne, loin des lumières du dîner qui avait certainement commencé dans le réfectoire. Lors de son passage sur les remparts, les Michel échangèrent un mélange de rires et de politesses, certaines gargouilles poussèrent même le vice jusqu’à lui souhaiter bonne chance. Parti comme une fusée dans une baignoire, le vieil homme marqua une pause devant la fontaine des époux Flamel dont la statue de Nicolas, fort aimable, lui pointa l’ouest.
« Merci mon brave, répondit Aliaume en plissant les yeux dans la direction indiquée comme si cela pouvait suffire à percer l’épaisse obscurité qui pesait sur les jardins. »
Évidemment son acuité visuelle ne suffirait pas. Il attrapa la lampe à lucioles pendue à sa ceinture et récita de mémoire l’inscription gravée en hollandais sur son armature en métal. La lampe quitta aussitôt sa main pour léviter à côté de lui ; les lucioles mécaniques prisonnières du verre diffusant des taches multicolores tout autour de leur drôle de propriétaire.
Il s’arrêta net quelques secondes plus tard en haut d’un escalier en voyant remonter un élève qu’il ne reconnut que lorsque les taches multicolores se mirent à danser sur son visage.
« Damian ? s’étonna Aliaume en reconnaissant le délégué de la Confrérie d’Ogme. Vous ne dînez pas avec les autres ? »
Aliaume jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule du jeune homme, presque certain de voir apparaître une silhouette féminine qui expliquerait à elle seule la présence du jeune homme.
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
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- Levicorpus ! Je scande avec une rare colère.
Je ne suis pas surpris de voir ma cible se faire encore une fois expulser au loin dans l'obscurité plutôt que d'être suspendue en l'air. Cela ne m'empêche pas de grimacer, non pas pour la souris que j'ai dénichée et pour laquelle je n'ai pas la moindre empathie, ce n'est qu'une proie après tout, mais de frustration. Encore un énième essai raté. J'en ai assez. A chaque fois que j'essaye de lancer ce sortilège, une vague de haine me prend aux tripes. Je rêve à ce moment-là d'envoyer un maléfice cuisant au visage de ma sœur. Pas étonnant que ça ne fonctionne pas si je ne suis pas fichu de contrôler mon ressentiment. Je ne comprends pas. J'ai pourtant depuis longtemps évacué cet événement de deuxième année qui s'était d'ailleurs bien plus mal fini pour elle que pour moi.
Je soupire, me passe une main derrière la nuque avant de me résoudre pour ce soir. Il doit être largement l'heure du dîner, je devrai me dépêcher de rentrer. J'ai choisi la faveur de la semi-obscurité, avec pour seule lumière les faibles lueurs provenant du château, pour m'entraîner à l'abri des regards curieux mais la nuit est tombée plus vite que prévue. En plus, la souris a filé et impossible de la retrouver sans l'obscurité.
Alors que je monte une volée d'escaliers afin de rejoindre le château, perdu dans mes pensées, une voix connue me fait lever la tête et m'arrêter. Je ne le discerne pas bien, la lumière soudaine qui l'enveloppe m'éblouit, mais je n'ai pas le moindre doute : le directeur se tient devant moi. Qui d'autre pourrait m'appeler par un prénom qui n'est pas le mien avec autant d'aplomb ?
- Directeur, je salue avec respect tandis que mes yeux s'habituent rapidement aux taches multicolores qui perforent la nuit sans lune. Qu'est-ce que vous... ?!
Fouttez dans cette tenue. Ma vue à nouveau à son plein potentielle contemple avec stupeur le mage. Ma surprise est telle que j'ai failli en perdre mon langage. Heureusement, ma censure habituelle m'a permis de ne pas déraper, de peu. C'en était moins une. Je ne peux par contre pas m'empêcher de détailler le vieil homme des pieds à la tête, c'est plus fort que moi. Je crois que je n'ai jamais vu homme plus excentrique et opposé à mon oncle. C'est fascinant et déconcertant à la fois.
Je prends conscience de ma maladresse quand le silence qui nous sépare devient quelque peu malaisant. Tout du moins pour moi.
- Désolé Directeur, je m'excuse en me rappelant qu'il attend une réponse de ma part. Je m'entraînais à lancer un sortilège, je réponds en restant volontairement vague, le vieux Vaillant n'appréciant pas que l'on s’entraîne en dehors de ses cours. Comme s’ils étaient suffisants... Je n'ai pas vu le temps passer.
Je marque une brève pause avant de demander : si je peux me permettre, vous semblez être... bien équipé. Évitons de dire bizarre. Vous allez en chasse ? Je demande sur le ton de la plaisanterie ne pensant pas une seconde que cela puisse être vrai malgré l'attirail qui aurait pu aller dans ce sens : un filet à papillon, une lampe à luciole, une cape de camouflage. Il doit surement se promener et a sorti pour l'occasion les premiers trucs qui lui sont passés par la main, ça ne peut être que ça.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Bombant le torse pour équilibrer le poids de l’attirail qui pesait sur sa carcasse, le vieil homme afficha deux rangées de dents bien blanches lorsque le délégué de la confrérie d’Ogme l’interrogea sur la raison d’un tel équipement.
« Vous avez l’œil et le bon ! dit-il en retenant in extremis la boîte en bandoulière qui lui glissait de l’épaule. Je pars à la chasse au Tac ! Et quelque chose me dit que vous allez m’accompagner dans cette poursuite effrénée. La bête est coriace à ce que l’on dit ! Votre jeunesse ne sera pas de trop pour mettre la main dessus. »
Aliaume n’était pas certain de convaincre qui que ce soit à la seule force de son entrain, alors il crut bon d’ajouter :
« Vous ne louperez pas grand-chose. Notre gastromage-en-chef n’est pas d’humeur aujourd’hui… je crois qu’il est indisposé. Il a résolu de servir une grande plâtrée de choux de Bruxelles malgré mes objections. »
Aliaume ne connaissait pas grand monde qui tolérait ces ignobles petites boules vertes… Même la Branchiflore en salade avait meilleur goût — quand bien même elle restait parfaitement immonde.
« Est-ce que je peux compter sur votre soutien ? Nous pourrions être à l’origine de grandes découvertes si nous arrivons à mettre la main sur cette bestiole. »
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Sa réponse me laisse stupéfait et encore plus l'enchainement qui suit. Je me retrouve enrôler dans une chasse au... Tac ? Aucune idée de ce que c'est. Mais si la bête est coriace et que le directeur lui-même me demande de l'aider, impossible de refuser. Cette perspective ne me vient d'ailleurs même pas en tête tant je suis flatté par l'invitation. Moi, comme aide pour un sorcier tel que lui ? Quel prestige ! Bon certes, il est un peu fou, je m'en rends bien compte. Mais la folie est toujours très proche du génie et je n'ai aucun doute sur la puissance de notre directeur. Il ne serait pas là où il est sinon. Je gonfle mon torse de fierté et m'avance à ses côtés. Je m'amuse, sans le montrer, des arguments de l'adulte qui cherche à me convaincre pour une cause à laquelle il m'a déjà acquis depuis le début.
- Bien sûr, Directeur, je réponds sans hésitation à sa question, choux de Bruxelles ou meilleurs plats du gastromage-en-chef, je vous suivrai, je crois bon de rajouter avec élégance même si rater le diner est bien la dernière chose qui me préoccupe.
Faire cette chasse aux côtés du directeur est aussi une formidable occasion d'apprendre des choses intéressantes, j'en suis certain, et pas seulement sur les Tacs. Peut-être même qu'il laissera filtrer des petits secrets. Je m'emballe peut-être un peu trop, je ne suis qu'un adolescent de quinze ans pour lui après tout, même si c'est à moi qu'il est venu demander de l'aide - puisque je suis le seul dans les parages, mais je ne vais pas m'arrêter à ce détail. Je saurai toutefois garder les yeux et les oreilles grandes ouvertes pour glaner la moindre information.
Dans mon enthousiasme euphorique, je repense aux jumelles Kleinerman desquelles j'attends encore des nouvelles et qui devaient obtenir quelque chose du directeur. Je me demande quand elles mettront leur plan à exécution. Si elles avaient déjà réussi, mes souvenirs et ceux de Pénélope auraient déjà été décortiqués et on serait sur la piste de la salle à double tour. Je jette un coup d'œil en biais au vieil homme, mon calme réfléchi de retour. Si je lui pose la moindre question là-dessus, je risque de les griller. Pourtant, s’il y a bien quelqu'un qui doit savoir quelque chose, c'est lui. Ma curiosité me démange mais je me détourne du sujet en posant une question qui m'intrigue également, même si bien moins.
- Qu'est-ce qu'un Tac ? A quoi est-ce que ça ressemble ? Je demande laissant échapper ma curiosité sur une question moins risquée et plus utile pour le moment présent. Pour être d'une aide efficace, je dois en effet avoir la description de ce que l'on cherche, sinon, comment le reconnaitre ?
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Les Michel — ces adorables gargouilles farceuses postées sur les remparts — n’avaient pas cru nécessaire de fournir une description. Aliaume n’avait, quant à lui, pas jugé nécessaire d’en obtenir une. Le succès ou l’échec d’une entreprise aussi compliquée pouvait se jouer à très peu de choses. Le vieil homme croyait dur comme fer que ce « très peu de choses » jouerait en sa faveur car tout jouait toujours en sa faveur au sein de ce domaine acquis à sa cause. Mais comme l’adolescent planté devant lui était en quête de réponses, l’habile directeur dénicha un entre-deux satisfaisant pour les deux parties :
« Il s’agit d’une créature très discrète, qui ne se laisse pas facilement observer. Encore moins approcher. Il nous faudra par conséquent la jouer fine. Ne perdons pas un instant, venez ! »
Son bric-à-brac sur le dos, que le moindre de ses mouvements faisait tinter joyeusement, Aliaume dépassa Drian — alias Damian — en se laissant éclairer par l’incroyable lampe à lucioles. Il en profita au passage pour remettre entre les mains du délégué l’objet le plus envahissant de son attirail d’exploration : le filet à papillons, assorti d’une tape amicale sur l’épaule.
Guidé par son instinct affûté et — ne lui demandez pas pourquoi — la puissance de son odorat, le vieil homme s’enfonça toujours plus loin dans les jardins ouest, passant sous quelques arbres privés de leur feuillage en gardant le nez levé. La lampe à lucioles avait beau ne mettre que des branches nues en lumière, Aliaume savait que la vie pullulait à peu près partout dans les zones d’ombre. C’était très certainement là que vivait le Tac.
« Je pense que nous avons nos chances du côté des bois qui bordent le manège, mais gardons l’œil ouvert, sait-on jamais. »
Aliaume renifla, insensible à la fraîcheur ambiante, quand bien même il marchait pieds nus. Malgré un automne rigoureux, l’herbe grandissait et fleurissait derrière chacune de ses traces de pas.
« Comment se passe votre année ? demanda le vieillard pour faire la conversation. Vous batifolez ? Les Michel m’ont assuré que vous ne manquiez pas de prétendantes. »
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Je lance un regard dubitatif au directeur puis au filet qu'il me colle d'office dans les mains avant de m'empresser de le suivre. Voilà une description des plus flous qui ne m'avance pas des masses. J'espérai davantage, comme une taille, un aspect général, une créature à plumes ou à poils, que sais-je. Comment vais-je bien pouvoir l'aider en sachant si peu de choses sur notre cible ? Sa description pourrait s'appliquer à tout et n'importe quoi. Je me demande si le vieil homme n'est pas resté volontairement vague tout en m'invitant à rester discret. Peut-être pour que je ne m'inquiète pas ? Il aurait tort de penser que je me laisserai impressionner pour si peu. Je ne vois pas ce qu'il pourrait y avoir de dangereux dans les jardins de Beauxbâtons. Quoiqu'il en soit, si on doit la jouer fine, ce n'est pas avec le boucan que fait le directeur que l'on va y arriver. Impossible que l'on ne se fasse pas repérer, son sac pourrait réveiller un mort ! Et puis, à quoi il sert ce filet au juste ? J'essaye de placer la chose sous un bras avant de la changer de place sur mon épaule. C'est que ce n'est pas très pratique ce machin-là. Heureusement qu'il fait noir, je dois avoir l'air ridicule.
Comme le vieil homme, je lève les yeux vers les branchages et scrute chaque recoin qu'il éclaire de sa luciole. Jusque-là, la lumière est suffisante pour que je n'y ajoute pas un lumos. Baguette dans ma main gauche, je reste donc prêt à lancer le moindre sortilège utile contre une créature furtive. Si j'en connaissais un peu plus, je pourrai anticiper et être plus efficace. C'est certain que le directeur apprécierait d'être accompagné par un élève compétent. Malheureusement, mes lacunes viennent de lui... Un tac... A quoi ressemble donc un tac ? Quelles sont ses faiblesses ? J'enregistre qu'il aime les bois et l'obscurité. Silencieux, je fais la liste de ce que je sais comme si j'évaluai un adversaire de duel, tout regardant autour de moi avec concentration. Je pensai que cela durerait comme ça jusqu'à ce que nous tombions sur notre cible mais la voix du sorcier fend le silence et ses questions me prennent au dépourvu.
Batifoler ? Je grimace. Les Michel... C'est sûr que je n'aurai pas pu compter sur eux pour dire au directeur que je m’entraînai tous les matins de bonne heure ou n'importe quoi de plus sérieux et d'assurément positif pour un enseignant. De vraies commères ceux-là. Enfin, "ne pas manquer de prétendantes" n'est pas la pire remarque qu'ils auraient pu faire, même si je me doute qu'ils ne l'ont pas aussi joliment dit. Et puis, avoir du succès auprès filles n'est franchement pas désagréable, ça me plait assez. Je dois tout de même rétablir la vérité, je ne voudrai pas que le directeur pense que je néglige mes études.
- C'est vrai que je plais aux filles, je consens à avouer. Mais je passe plus de temps à m'entraîner pour les duels, le quidditch et à travailler les cours pour rester le meilleur élève d'Ogme de mon année. Je n'ai pas vraiment le temps de m'occuper d'une petite amie, du coup... en guise d'explications, je hausse les épaules dans le noir - oubliant que l'homme n'avait pas des yeux derrière la tête, bien heureusement, et qu'il ne pouvait absolument pas voir mon geste -, ne sachant pas trop comment dire les choses sans que cela paraisse étrange. Parler de ça avec le directeur de Beauxbâtons est déjà suffisamment embarrassant sans que je n'en rajoute davantage en allant dans les détails de ma vie sentimentale. J'imagine que c'est ce que vous appelez batifoler, je conclue en essayant d'être le plus détaché possible, tâchant de cacher mon malaise et un peu inquiet que le directeur puisse avoir une mauvaise opinion de moi à cause de ça. Nombres de ces petites amies n'apprécient pas vraiment quand je considère que je n'ai plus de temps à leur accorder, les Michel ont probablement eu vent de ça aussi...
- Et vous professeur, vous aviez une petite amie à mon âge ? Je lui demande tout un trac, espérant ainsi changer la cible de l'attention au plus vite. Le faire se perdre dans ses souvenirs, voilà qui devrait me laisser un peu de répit. L'apparition d'un tac serait encore mieux.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
En un sens, les amourettes de jeunesse faisaient partie de ce qu’on pouvait appeler la routine étudiante d’un élève lambda. Mais il fallait croire que Drian Vaillant n’était pas tout à fait ce qu’on pouvait appeler un élève lambda. L’excellence à la française, qui prédominait jusque dans l’usage de la magie, était responsable de ces aléas qu’Aliaume jugeait, par moment, regrettables. Après tout, les relations amoureuses faisaient elles aussi partie de l’apprentissage obligatoire dans une vie bien remplie, n’est-ce pas ?
« Oui j’en ai eu quelques-unes. Je suis même arrivé à en avoir trois en même temps, une dans chaque confrérie , s’amusa le vieil homme. C’est un sérieux problème quand on ne sait pas dire non et que de surcroît vous êtes considéré comme un talent générationnel par une moitié de l’académie… »
Aliaume décocha un clin d’œil à son aide de camp.
« … Pour l’autre moitié, je n’étais qu’un hurluberlu comparé à ma prédécesseuse. »
Il ne s’en était jamais formalisé, peut-être parce que la popularité lui passait au-dessus du crâne depuis toujours et nous ne parlerons pas, ici, de l’avis des gens à son sujet. Il y était sourd depuis le ventre de sa mère.
Avançant pas après pas, guidé par la lumière de sa lampe à lucioles, le vieil homme embarqua son binôme sur la pelouse constellée de perles d’eau qui entourait le haras des abraxans. L’édifice, monstrueux de grandeur, constituait une ombre immense dans l’obscurité ambiante. L’odeur de crottin d’abraxan n’était pas beaucoup plus rassurante…
Aliaume finit par dépasser l’édifice par la gauche et s’approcher de la forêt dans laquelle aucun élève n’entrait jamais. Des craquements sinistres y résonnaient tout le temps et un étrange vent magique s’y éveillait dès qu’un mineur approchait la barrière d’arbres centenaires.
« Si vous ne voulez pas qu’il vous arrive une bricole, je vous conseille de vous accrocher à mon bras et à ne le lâcher sous aucun prétexte. »
Et le vieil homme d’offrir son bras à ce cher Damian.
« J’ai eu l’honneur d’assister à votre duel, il y a deux jours. Je sais que vous ne manquez pas de talents, mais croyez-moi, cette forêt n’aime pas du tout la marmaille... ce n’est pas de moi, c’est d’elle. »
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Je ne suis pas au fait de tous les dons du directeur de Beauxbâtons, mais s'il en est dont je ne doute plus maintenant, c'est celui de prendre complètement au dépourvu ses élèves - et j'ose à peine imaginer les professeurs. "Navré". Je ne m'attendais absolument pas à un commentaire de ce genre. Pas de quoi m'inquiéter de ce qu'il pourrait penser finalement. Il est décidément bien différent de mon oncle et je dois me rendre à l'évidence que j'aurai bien du mal à cerner le personnage. Sa réponse à ma question ne fait rien pour contredire ça. Trois petites amies en même temps ?! Jamais je n'aurai pu imaginer ça ! Je lui lance un coup d’œil en biais, une lueur d'admiration dans le regard. Je ne sais pas comment il a réussi à gérer ça, mais ça force le respect. Je souris dans la pénombre : défi relevé ! Moi aussi, j'aurai trois petites amies en même temps. Peut-être pas cette année, je ne pense pas que ma notoriété soit suffisante pour réaliser la prouesse du directeur sans y laisser des plumes. Mais bientôt...
- Vraiment ? Je murmure pour moi-même en entendant la suite. Je ne suis pas vraiment surpris que l'homme ait pu ne pas être pris au sérieux. S’il se baladait pendant sa scolarité avec le même genre d'attirail qu'il a pris soin de se doter ce soir, rien n'est moins surprenant. Cela dit, c'était quand même bête de la part de ses anciens camarades vu où il en est arrivé aujourd'hui. Je me demande même si aujourd'hui, notre cher directeur n'a pas éclipsé Madame Maxime. Cette femme est surcotée de toute façon, voilà mon avis.
Je suis le directeur en silence, prenant plaisir à imaginer l'affrontement épique que serait un duel entre lui et sa prédécesseuse tandis qu'il m'entraîne bien plus loin dans les jardins que ce à quoi j'aurai pu m'attendre. Nous passons devant le manège où l'odeur familière du crottin me chatouille les narines, avant d'abandonner définitivement tout repère rassurant. Je me retrouve en fin de course à côté de lui, face à la forêt enchantée. Je frissonne. J'ai une étrange sensation, celle désagréable de ne pas être du tout le bienvenu avant même d'avoir franchi le seuil. Si la forêt pouvait parler, je crois bien qu'elle m'aurait dit de dégager. Mon sentiment est vite confirmé par Aliaume Delalande qui m'offre un laisser passer sous la forme de son bras. Il y a quelque chose de parfaitement électrisant d'aller à l'encontre de cette menace suspendue dans l'air, tout en se sentant intouchable. Mes yeux bleus luisent dans la nuit et je saisis le bras du vieil homme sans hésiter.
- L'honneur est pour moi, monsieur, je dis obligeamment, appréciant au plus haut point le compliment. Si le directeur reconnait mon talent, le vieux Vaillant sera bien obligé de le reconnaître également. Que vous ayez assisté à mon duel mais aussi que vous défiez la forêt en m'y amenant, je précise tout en ressentant une nouvelle bouffée de fierté. Mêlée à l'adrénaline, j'ai le cocktail parfait pour être gonflé à bloc et le fait d'être qualifié de "marmaille" n'érode en rien mon enthousiasme. Quoiqu'il y ait sous la pénombre des arbres, je suis prêt à l'affronter.
Bon, avouons que j'aurai tout de même préféré pénétrer dans cette forêt avec ma baguette à la main plutôt qu'un filet encombrant qui me semble encore plus inutile maintenant que je sais où le Tac réside. Une créature très discrète, hein ? Si la forêt n'aime pas les élèves, je ne suis pas certain que ce qu'elle contient soit plus docile.
Suis-je fou si je trouve ça excitant ?
- Quand vous voulez, monsieur. Je suis prêt, allons dénicher ce Tac !
En espérant que ça ne soit pas un truc plein de crocs, de griffes et de poison... Je resserre ma prise sur ce bras qui me semble tout maigrichon d'un seul coup.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Une fois dans la forêt aux craquements sinistres, le vieil homme prononça en néerlandais « Plus haut, je te prie. » En réponse, la lampe à lucioles lévita plus haut encore. Évoluant dès lors dans un cercle de lumière plus grand, le vieil homme et son acolyte pouvaient apprécier toute la tortuosité du terrain, sorte d’enchevêtrement infini de troncs noueux, de racines et de haies sauvages. Autant dire un labyrinthe inextricable. Sauf pour Aliaume qui délaissa momentanément son bâton de marche — ce-dernier demeura droit comme un piquet planté dans le sol — pour se saisir du coquillage à voix pendu à sa ceinture. Il souffla un bon coup dedans et comme par magie — de fait, s’en était — les arbres, les haies et les racines se tassèrent de chaque côté d’un long chemin à ramifications qui s’ouvrit devant ses pieds nus.
« Un coquillage à voix, informa-t-il Damian. Il imite le bruissement du herensuge qui veille sur ces lieux. Un être exceptionnel à plus d’un titre. Il viendra peut-être à nous, mais il y a de fortes chances qu’à cette heure-ci il soit accaparé par quelques assemblées forestières. »
Aliaume replaça l’objet au niveau de sa ceinture, empoigna son bâton de marche, et se remit en route.
« Quoi que vous pensiez apercevoir autour de vous, restez sur ce chemin. »
Plusieurs ombres se faufilaient déjà gaiement de part et d’autres du chemin éclairé, laissant des rires cristallins dans leur sillage tandis que différentes billes de couleurs s’allumaient puis s’éteignaient, ici et là, dans l’obscurité environnante. Des yeux, c’était certain. La forêt pullulait de vie.
« Plusieurs parchemins de la chapelle assurent que la forêt était libre d’accès autrefois, déclara le vieil homme en continuant d’avancer. La disparition de toute une classe de Créatures Magiques a scellé le sort de cet endroit. J’ai du mal à croire que tous ces élèves et un professeur aient été dévorés par la forêt, mais je dois bien admettre qu’ils n’ont jamais reparus où que ce soit après. Curieuse affaire, curieuse affaire… »
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Dès que nous pénétrons dans la forêt, je ne lâche pas des yeux - ni du bras - le directeur. Avide, j'observe la moindre de ses actions, écoute le moindre de ses mots. Les cours de l'académie, si certains sont surprenants, sont majoritairement très classiques. Il suffit d'avoir fait un peu de lecture pour être spoiler sur les manifestations de magie un tant soit peu originale, et surtout, tout est toujours bien contrôlé. Alors, comment ne pas apprécier de s'arracher à cette sécurité pour en découvrir plus ? Si une part de moi reste quand même sur le qui-vive, l'autre s'emballe. Un coquillage qui créé un chemin dans une forêt magique capricieuse ? Trop mortelle ! Un Herensuge - un gardien des forêts anciennes si mes souvenirs des lectures du soir de Chappie sont bons - faisant des assemblées forestières ? Génial ! Je lui demanderai bien en quoi consiste ces assemblées, mais le directeur attire mon attention sur autre chose.
Je ne prends pas à la légère sa mise en garde. Effectivement, la forêt est loin d'être inerte. Elle bourdonne de bruits, de rires étranges même. Où que mon regard se pose, je perçois des billes de lumière qui disparaissent au fur et à mesure que nous avançons, avant de réapparaitre plus loin, perchées, ou tout à coup, juste à quelques mètres. Si j'avais eu ma baguette à la main, plutôt que cet encombrant filet, j'aurai probablement tenté de percer ce mystère. Pour l'heure, je dois me contenter de rester dans l'ignorance, sur le chemin ouvert et de ne pas lâcher le bras de mon directeur. Vient-il de dire qu'une classe entière avait été "dévorée" par la forêt ? Par cette forêt ? Dans laquelle nous ne sommes que deux ? Pourquoi est-ce qu'il ne me dit ça que maintenant ? Mon enthousiasme débordant en prend un coup.
- Quand vous dites, dévoré par la forêt, vous voulez plutôt dire, dévoré par une créature de la forêt ? Je demande à voix basse, craignant que des oreilles gourmandes ne m'entendent. J'ai très peu l'envie de finir en casse-croute. Mais être le casse-croûte d'une créature que l'on peut combattre me semble un peu plus rassurant qu'être celui d'une immense forêt magique incontrôlable, ou presque. N'aurait-on pas retrouvé des... restes, je prononce avec une grimace éloquente, ou au moins des bouts de vêtements ? Je continue, tentant de me rassurer sur cette bizarre disparition, espérant que tout ceci ne soit qu'un malentendu.
Et puis finalement, mon côté rationnel se sentant suffisamment en sécurité malgré cette histoire, tant que mon bras reste bien accroché au directeur et que je fais attention où je mets les pieds, je me laisse prendre par ce nouveau mystère.
- Sait-on ce qu'ils étaient venus étudier dans la forêt ?
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Aliaume avait une pensée pour les parents de ces pauvres enfants. Ils avaient certainement perdu la raison suite à cette tragédie.
« Quoi qu’ils étaient venus étudier, la forêt ne les a pas laissé faire. Montrons-nous plus humbles et plus prudents à son égard. »
Le vieil homme connaissait bien assez les forêts anciennes pour savoir comment il fallait se comporter en leur présence. La jeune génération négligeait les arbres et toute la vie magique qui pullulait sous leurs frondaisons sous prétexte que ce n’était pas « assez vivant » à leur goût, mais Aliaume appartenait à une très ancienne génération de sorciers qui croyait au pouvoir de cette magie millénaire et qui lui vouait un respect sans commune mesure. Ce fait explique certainement pourquoi aucune de ses expéditions dans la forêt ne s’était, à ce jour, soldée par un séjour au dispensaire.
« Tenez, prenez ça et agitez-la, dit Aliaume en tendant une bourse en cuir à Damian. Ce sont des baies de caquetier. Elles produisent un gloussement lorsqu’on les secoue un peu trop. Certaines créatures sont sensibles à ce bruit. Peut-être que le Tac aussi, si nous avons un peu de chance. »
A chaque arbre majestueux qu’il croisait, le vieil homme adressait une révérence qui consistait en une inclinaison marquée de la tête. Si cela n’était pas une surprise pour lui, Damian se laisserait peut-être surprendre par l’inclinaison réciproque à laquelle s’adonnait chacun de ces arbres. Les politesses étaient ainsi échangées sans qu’un seul mot plus haut que l’autre ne soit prononcé.
« Mon bon ami, auriez-vous aperçu un Tac par hasard ? demanda Aliaume à ce qui semblait être un cèdre, même si son tronc nervuré laissait apparaître quelques veines dorées. »
Pas de réponse… Puis soudain un frisson secoua l’arbre auquel s’adressait le vieil homme. Un vent étrange s’éveilla entre les arbres, faisant se dresser les poils sur la nuque et friser la moustache. Aliaume délaissa une nouvelle fois son bâton pour porter sa main à son oreille… Les nouvelles n’étaient pas bonnes.
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
- Ah ! Je m'exclame suite aux explications du directeur au sujet de la classe disparue.
Avec un brin de frustration, je dois me rendre à l'évidence que le mystère ne se résoudra pas avec moi et peu importe la curiosité que j'ai sur le sujet, je n'en apprendrai pas davantage. A priori, personne ne sait. En tout cas, personne d'humain. C'était bien la peine de me raconter un truc pareil ! Me voilà encore plus méfiant maintenant. Je n'ai d'ailleurs pas attendu que le sorcier me dise d'être plus prudent que j'ai déjà renforcé ma poigne sur son bras.
Il me tend tout à coup une bourse que je regarde avec suspicion. Très franchement, après ce qu'il vient de me raconter, je ne suis pas vraiment sûr de vouloir attirer quoique ce soit à moi. Je préférerai d'ailleurs, et de loin, sortir ma baguette et lancer un lumos pour éloigner davantage les ombres qui m'entourent, que de m'encombrer d'un attire créatures en tout genre. Je m'exécute toutefois, beaucoup trop docile, en calant comme je peux le filet sous mon bras et prenant les baies de caquetier dans ma main ainsi libre. Je me sens gauche comme pas possible et pas certain que tout cela tiendra en place - il y a même de forte chance que le filet se prenne dans quelques branches noueuses ou buissons épineux vu comme il ballote d'avant en arrière ainsi - mais il est hors de question que je lâche le bras du directeur.
Ainsi paré, et tout en agitant à chaque pas ma petite bourse, nous continuons d'avancer à vitesse modéré. Le vieil homme salue de la tête chaque arbre un peu plus gros que les autres. Si la première fois qu'il le fait, je me demande s'il n'est pas véritablement fou, les fois suivantes je l'imite. Et la raison est toute simple : les arbres s'inclinent à leur tour devant lui. Malgré la chose absolument déconcertante pour moi, j'ai tout intérêt à faire la même chose. On ne sait jamais si par malheur je me retrouve séparé du vieux sorcier, peut être que cette marque de respect me permettra de m'en sortir indemne. J'ai déjà fait les frais de la susceptibilités des végétaux il y a deux ans, pas deux fois.
J'observe mon directeur, je l'imite, je scrute les ombres, j'écoute les bruissements et finalement, j'entends le sorcier parler à un arbre. Ou plus précisément, lui poser une question. Je ne suis même plus surpris et attends la réponse avec l'évidence même que le feuillus répondra. Pourquoi pas après tout ? Je lève la tête vers les feuillages qui s'agitent étrangement, tentant de capter une information qui restera probablement à jamais hors de ma portée. Mais au vu de la tête du vieil alchimiste, pas hors de la sienne.
- Qu'a-t-il dit ? Je demande en chuchotant, comme si mon instinct me disait de ne pas perturber ce dialogue muet mais intense. Pour autant, les baies de caquetier continuent de glousser alors que je n'ai même pas conscience de les secouer. En baissant les yeux sur la bourse, je constate que ma main tremble toute seule. Cette forêt me fait un drôle d'effet.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Voilà Aliaume bien embêté. Depuis le temps des fondateurs, Hector Desmarre et Philippe Vendebout, un pacte tacite d’entraide existait entre les habitants de la forêt et la direction de l’académie. Aliaume devait-il abandonner son expédition et se porter volontaire pour rechercher le pauvre petit Dahu ? Il baissa son regard sur ce pauvre Damian. Impensable. Le petit tremblotait déjà de froid. Il n’allait pas, en plus, lui imposer d’arpenter des chemins de traverse.
« Ils ont une urgence. Ils recherchent un jeune Dahu qui a échappé à la vigilance de sa mère, lui signifia Aliaume. Personne n’a le temps de nous aide… »
Une succession d’événements inattendus devait rabattre le caquet du vieil homme et tordre ses lèvres d’un sourire mutin. D’abord, un jeune Dahu sortit des fourrés sur la gauche, craintif — il tremblait de tout son long — mais irrésistiblement attiré par le son des baies de caquetier. Puis, une horde de petites créatures à peine plus grosses que des pommes, entièrement recouvertes de poils noirs, se ruèrent à sa suite. Aliaume ne les avait encore jamais vus.
« Mon bon ami, prévenez la mère. Je crois que nous avons trouvé le petit, dit-il en regardant l’espèce de cèdre. »
Le vieil homme baissa ensuite son regard sur son élève.
« Bien joué mon brave ! D’un coup de poignet, deux trouvailles ! »
Il ne faisait aucun doute dans l’esprit fantasque du vieux directeur que ces petites créatures non-identifiées ne pouvaient être que des Tacs. Restait à savoir comment il fallait s’y prendre pour en capturer au moins un, mais son esprit était déjà focalisé sur autre chose…
« Il est blessé à la patte avant droite, regardez… »
Effectivement, le petit Dahu avait une vilaine entaille qui avait bien saigné.
« … Il a été attaqué par quelque chose. »
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Tandis que le vieux sorcier m'explique ce que les arbres lui ont chuchoté avec leur feuillage, j'entends un bruissement sur le côté gauche. En tournant la tête dans cette direction, je vois la, ou plutôt, les créatures qui l'ont interrompu. Si à première vue, le jeune Dahu - ainsi reconnu par le directeur, moi-même n'en ayant jamais vu je n'aurai su dire ce que c'était - tout tremblant semble être seul, en regardant pile derrière lui au niveau de ses pattes, je discerne des petites formes noires. Serait-ce les Tacs ? Aliaume Delalande semble le croire en tout cas. Et d'après lui c'est grâce à moi, enfin, plutôt aux baies de caquetier que je secoue sans le vouloir, que tout ce beau monde est là. Je stoppe d'agiter la bourse et ils s'arrêtent aussitôt d'avancer.
C'est alors que l'adulte me fait remarquer la blessure du petit Dahu. Du sang a coulé le long de sa patte droite depuis une entaille juste en dessous de la cuisse, salissant son pelage tacheté.
- J'espère que ce n'est pas par ces boules de poils noires... dis-je en regardant d'un œil suspicieux ces drôles de créatures. Si vous me le permettez directeur, je peux m'occuper de sa blessure.
Je secoue alors à nouveau la bourse de graines, une idée derrière la tête - dont entre autres essayer d'amadouer la forêt -, et la troupe avance à nouveau. J'ai la quasi-certitude que si il n'y avait pas eu le directeur avec moi, caquetier ou pas, le Dahu n'aurait pas fait un pas de plus. Il doit ressortir de lui une aura spéciale. Quelque chose que je ne perçois pas, mais qu'à priori les créatures de la forêt et la forêt elle-même y sont sensibles. Tandis que le jeune Dahu s'approche lentement, je m'accroupis avec précaution et je dépose mon encombrant filet au sol le plus délicatement possible après avoir changé la bourse de main. Ce n'est pas évident en gardant mon accroche au bras du vieil homme mais il a bien dit : "Sous aucun prétexte". J'y parvins néanmoins en me contorsionnant un peu et en desserrant un peu mon emprise de sécurité.
Une fois le filet à terre, je sors ma baguette, attends et continue de secouer. J'ai l'impression que cela dure des heures et je retiens finalement mon souffle quand la créature n'est plus qu'à une vingtaine de centimètres. Sa blessure, même si elle a bien saigné, semble finalement assez superficielle. Maintenant que je peux mieux la voir, je n'ai pas l'impression que le muscle ait été touché. L'onguent des premiers soins aurait pu faire l'affaire mais je n'en ai pas sur moi. Je le visualise bien sur l'étagère du dispensaire, entre la potion Grogentia et le philtre Aimatos, je pourrai potentiellement l'attirer jusqu'à moi. Néanmoins, je doute que la forêt le laisse arriver à bon port. Le mieux que je puisse faire est encore de lancer un sortilège de soin moi-même. Je me concentre intensément, me figeant dans une bulle de silence n'appartenant qu'à moi.
- Sirapto, je prononce doucement en visualisant les tissus se refermer. Dans un même temps, je sens quelque chose me grimper sur la jambe. Je serre les dents pour résister à la tentation de l'enlever et reste entier à ma tâche tout en espérant que la petite boule noire que je devine ne plantera pas des dents pointues dans mes mollets. Je compte évidemment sur le directeur pour me protéger de toute agression quelconque.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« Prodigieux, Damian, souffla Aliaume. »
N’ayant jamais étudié la Guérison, et ne s’y étant pas plus intéressé au sortir de l’académie, le vieux directeur était réellement impressionné par le travail de l’adolescent. De la pure magie, dans tout ce qu’elle avait de plus innocent. Même la Forêt n’avait rien manqué du spectacle, si bien qu’une rumeur portait sur des kilomètres à la ronde, de feuillage à feuillage, qu’un jeune dahu avait reçu des soins de la baguette d’un tout aussi jeune sorcier.
« Vous pouvez être fier de vous… Venez par ici vous trois… »
Si la première partie de sa phrase était destinée à son fidèle compagnon d’expédition forestière, la deuxième partie était dirigée vers les Tacs qui essayaient de quitter l’adolescent aussi discrètement qu’ils l’avaient escaladé. Aliaume leur tendit son bâton de marche. Les drôles de petites créatures s’empressèrent de s’y accrocher fermement tandis que le vieil homme portait l’objet sous ses yeux d’un vert étincelant.
« Quelles étonnantes petites créatures… est-ce que vous me feriez l’honneur de nous raccompagner aux remparts du château ? Je promets de vous laissez aller où bon vous semble quand nous y serons parvenus. »
Le trio échangea regards et mouvements étranges, quasi imperceptibles, durant de longues secondes. Aliaume n’en manqua rien, souriant comme un enfant à qui on venait d’offrir son tout premier kit de Métamorphose. Il attendit patiemment que le porte-paroles du trio — le plus dodu des trois — exécuta une danse triomphale au sommet du morceau de bois. Une danse qu’Aliaume traduisit par un oui enthousiaste à l’idée de visiter des contrées lointaines qu’aucun Tac n’avait foulé de mémoire de Tac. Bien.
Lorsque le vieil homme retrouva enfin le sens des réalités — du moins assez pour relever la tête et regarder Damian — il surprit la tendresse avec laquelle le jeune Dahu posa son museau sur l’épaule de l’adolescent. Un remerciement dans le langage universel des êtres vivants.
« Vous avez un don, Damian. Ne le gâchez jamais. »
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Je relâche ma concentration une fois ma tâche achevée. Si les traces de sang sont toujours présentes, la blessure du jeune Dahu, elle, a complètement disparue. Je hoche la tête aux compliments du vieux sorcier, flatté de son admiration même si je ne peux la partager. Après tout, je n'ai fait là qu'utiliser un sortilège de guérison mineur que la plupart des élèves de mon année connaissent. Rien d'exceptionnel selon moi, et j'entends d'ici le ricanement méprisant de mon oncle si je me contentai de si peu. Toutefois, impressionner le directeur ne me semble pas anodin et encore une fois, je ne prends pas à la légère.
Tout en rangeant doucement ma baguette, j'observe du coin de l'œil - et devine à la pression des minuscules pattes de celui que je ne peux pas voir - les Tacs qui me quittent pour rejoindre le bâton tendu du vieux sorcier. Je n'ai à déplorer aucune morsure mesquine ni rien d'autres de ce genre. Ces créatures ont l'air d'être tout ce qu'il y a de plus pacifique, bien loin de mes a priori en entrant dans la forêt. A les voir grimper et s'agiter sur la canne, ils n'ont pas non plus l'air d'être aussi timides et insaisissables que ce que se figurait le directeur.
Mon attention est ramenée devant moi à la sensation d'une pression sur mon épaule et je suis surpris d'y voir fiché le museau du petit Dahu. Quelque peu ému par ce geste, - j'ai toujours été plus attendri par les créatures que par les humains pour lesquels mon empathie est proche du néant - je laisse glisser ma main libre vers son cou que je caresse doucement. Son poil est si doux que l'on dirait du coton. La scène n'a pas échappé au regard vigilent du professeur.
- Vraiment ? Je demande doucement, autant pour moi que pour lui, en réponse à ses paroles tout en continuant de faire délicatement glisser mes doigts sur l'encolure de la créature.
Un don ? Je ne sais pas... Ne suis-je pas juste là au bon endroit au bon moment ? Ou peut-être ai-je vraiment un don. Calypso m'a choisi aussi, elle a probablement vu en moi quelque chose que je serai à jamais incapable de voir. Ne pas gâcher ce don, voilà une chose par contre qui me parait des plus compliquée à appréhender. Encore faut-il savoir ce que cela pourrait signifier de le gâcher.
- J'imagine que nous attendons la mère ? Je suppose en tournant la tête vers le directeur pour capter un signe d'assentiment. A vrai dire, je ne nous vois pas le laisser là, seul au milieu de la forêt. Nous ne savons pas ce qui l'a attaqué - qui n'est de toute évidence pas les petites boules de poils noirs - et son prédateur n'attend peut-être que notre départ pour revenir à la charge. Puis, après un temps d'hésitation de si je peux me permettre ou non une certaine demande, je me lance finalement : Me permettriez-vous d'étudier ces créatures avec vous ?
Toute connaissance est bonne à prendre.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
L’attente dura ce qu’elle dura, soit une poignée de minutes durant laquelle Aliaume prêta l’oreille aux sons de la forêt : les applaudissements des feuilles au passage du vent ou encore les craquements des troncs durant les étirements des arbres. Ce vaste univers, bien moins mystérieux à ses yeux qu’il pouvait l’être pour le commun des sorciers, lui était aussi appréciable qu’une bonne glace à l’italienne pouvait l’être aux yeux d’un Lug affamé — ce qu’il n’était pas, notez-le bien. Enfin, la mère du jeune dahu sortit d’un fourré. Il s’agissait d’une belle créature, élancée, fière, aux yeux expressifs malgré leur couleur. Une créature qu’Aliaume salua d’une légère courbette.
« Il est temps de le rendre à sa mère, dit-il à l’attention de Damian. »
Ô bien sûr, l’adolescent n’avait pas à rendre réellement la créature à sa mère. Aliaume était excentrique selon certains points de vue, mais pas fou pour autant. C’était plus une façon pour lui d’inviter l’adolescent à s’écarter et à se préparer à rentrer au château maintenant que l’affaire principale — à savoir la découverte des Tacs — était entendue. Le petit et sa mère retourneraient à leur existence paisible dans les montagnes pyrénéennes, du moins tant que leur route ne croisait pas celle d’un prédateur. Telle était la loi de la nature.
« Rentrons. »
Sur cette injonction, le vieil homme rééquilibra tout son bric-à-brac d’expédition, tendit son bras à l’adolescent, puis il se remit doucement en marche. Ses hanches supportaient difficilement l’humidité ambiante, mais Aliaume n’en montra rien. Il suivit le chemin du retour comme un saumon remonte sa rivière, narrant à son fidèle acolyte — et le public de Tacs accrochés à son bâton de marche — les histoires des premiers herensuges de la forêt, du temps où ils combattirent des géants et même des centaures pour se tailler un territoire à la mesure de leur bonté.
Au retour, ou plutôt à leur résurgence de la forêt, tout Beauxbâtons dormait à poings fermés. Les étoiles brillaient tels des éclats de diamant incrustés dans la voûte céleste. Seuls les vents contraires, froids à cette période de l’année, animaient de sons étranges la vie nocturne des jardins enchantés.
« Je vous ferai demander quand j’en saurais un peu plus sur nos chers amis, assura Aliaume à Damian lorsqu’il s’arrêta devant la statue des époux Flamel. Rentrez vous coucher avant que quelqu’un ne vous tire les oreilles. »
Il ne serait jamais venu à l’idée d’Aliaume que ce quelqu’un puisse être… et bien… lui ?
« Et merci pour ce que vous avez fait, conclut-il sur un clin d’œil. »
Damian penserait sans doute, à tort, que le vieil homme le remerciait de s’être occupé du jeune dahu. Mais la réalité, c’est qu’il le remerciait d’avoir promené le vieil homme qu’il était.
[FIN]
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Le geste de tête du Directeur me rassure sur mon audace et son bien-fondé, et je ressens pour le vieil homme une bouffée de reconnaissance. Il est si loin du mépris moqueur que mon oncle m'aurait probablement servi.
Le silence s'installe tandis que nous attendons. Enfin par silence, j'entends l'absence de conversation entre nous car la forêt est, elle, très loin d'être silencieuse. Le claquement des feuilles, le grincement des branches et le bruissement furtif des créatures de la nuit m'auraient donné la chair de poule si la présence du directeur et surtout le contact avec la créature ne me distrayait pas. Après un temps que j'aurai du mal à évaluer, la mère apparaît enfin.
C'est à mon tour d'acquiescer aux paroles de l'adulte. Après une dernière caresse, je me redresse et fais un pas en arrière pour permettre à la créature de rejoindre sa mère. A peine mon contact disparu que celui-ci ne se fait pas prier, et trottine vers le giron du Dahu adulte. Je les regarde disparaître vers l'obscurité de la forêt tandis que nous-même nous nous préparons à rentrer. Je prends machinalement le bras que mon directeur me tend avant de marquer un temps d'arrêt et de perdre des couleurs. Je ne me suis même pas rendu compte de l'avoir lâché. Suis-je passé à un poil de Tac de la catastrophe ? Je ne le saurai jamais et ne veux pas vraiment le savoir.
Le chemin du retour se fait toutefois dans une ambiance bien plus légère que l'aller. Les histoires du directeur y sont très certainement pour quelques choses mais j'ai également le sentiment que la forêt s'est fait moins oppressante. Comme si elle m'invitait à repartir sans pour autant vouloir me faire fuir. Retrouver les jardins n'en est pas moins un soulagement, l'atmosphère magique y est beaucoup plus légère. Arrivée devant la statue des époux Flamel, le directeur annonce le moment de la séparation. Je souris à sa remarque qui montre à quel point il est en décalage avec tout le corps professoral de Beauxbâtons et mon sourire s'élargit davantage à ses remerciements. J'avais juste agi par instinct de survie et peut-être avec un peu d'empathie pour cette jeune créature. Il aurait pu faire plus encore.
- Merci à vous professeur, j'ai hâte d'en savoir plus sur eux ! Je dis avant de partir en courant vers les dortoirs, fier comme un Coulobre de partager un secret avec le directeur de Beauxbâtons.
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