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Le Narrateur
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Ami des Lettres

Le Narrateur

Lun 1 Jan 2024 - 12:26

(PV) Souffleur embrusqué 64h8

Septembre 2021,  Aube poignant

Thaïs ne regrettait pas son lever aux aurores pour observer plus à son aise les nymphes de la galerie, la résonance dans cette étendue beaucoup moins densément occupée qu’à l’habitude était incroyable. Un simple pas se trouvait dès lors chargé de brusquerie et les compositions des statues s’élançaient en rencontrant une moindre résistance. La constitution de ces sculptures enchantées était terriblement intrigante. La vibration de la pierre, même amincie en feuille, ne saurait produire la voix en cordes vocales ; et pourtant elles s’exprimaient bien, quels que soient leurs matériaux.

Peut-être une astuce comme chez Degas avec des éléments organiques, parfois la magie a besoin de l’aide d’un soupçon de vie. L’élève n’avait jamais osé leur demander de les palper afin de percer les mécanismes qui les mouvaient, cette demande sonnait trop inélégante. En général, il les écoutait tout en prenant note des singularités qu’elles produisaient pour en tirer des enseignements sur la création musicale. Leur système de production de son apportait indéniablement de la nouveauté dans les visions de l’adolescent, puisqu’il reposait sur une acoustique qui leur était propre, incomparable avec la voix ou la facture humaine. Était-il seulement envisageable qu’une unique âme soit à l’origine des nymphes, probablement elles-mêmes habitées d’un je-ne-sais-quoi à l’origine de leur personnalité, de leur pouvoir de génération artistique… Rien que cette architecture dissimulait un secret soigneusement conservé, et cela dévorait de curiosité l’esprit du jeune Anastase. C’était assurément le fruit d’une alliance entre Confréries, ne sollicitant pas leurs seules compétences de sorciers mais aussi le Souffle d’un divin protecteur. Les originaires celtiques traversaient ces murs, à coup sûr la preuve se situait sous ses yeux dont l’ambre parcourait tranchant et scrutateur l’ensemble.

Nombreux étaient les matins où il guettait dans l’espoir d’un phénomène décisif, son imagination avait soif d’évènements un peu trop impressionnants. Ce ne sera sans doute pas aussi évident que d’entendre un beau jour une voix venue d’un autre monde confirmant son œuvre et sa présence. Oui, ces statues avaient reçu cette sorte d’
animus, mais d’où-comment ? La fébrilité de Thaïs en était à un point que s’il percevait un pouls, il serait incapable de déterminer si c’était uniquement parce qu’il l’attendait ou si c’était sa manifestation-clef. Ce spectateur ignorait combien de temps exactement s’était déroulé depuis qu’il avait commencé à remplir quelques portées inspirées des nymphes lorsque sa tête se détourna, magnétiquement attirée par une silhouette emblématique. *Évidemment ! * Si quelqu’un devait avoir des antennes bien aiguisées pour les percevoir et avoir expérimenté les vibrations puissantes, c’était le directeur. Négligeant les recommandations de ses parents lui ayant demandé de se garder de ‘harceler les grands’ soi-disant pour un rien, l’enfant se précipita vers son chemin pour l’aborder. Le vénéré mage était à sa portée, au contraire il serait malvenu de le laisser filer. Déterminé à en extraire tout le suc, tout les vents pour glisser vers la lucidité.

« Salutations aurorales, monsieur ! Je requiers vos lumières. »

Sans préambule supplémentaire, son bras s’ouvrit vers l’un des instruments saillants, une petite harpe marquant dans son esprit un lien transparent avec Dagda.

« Sentez-vous ou avez-vous déjà senti leurs présences ? Est-ce qu’ils sont là, est-ce qu’ils viennent et nous insufflent, nos trois Protecteurs ? »

À la fois excité, interrogatif, curieux ; c’était surtout une grande naïveté qui le dirigeait, effaçant la contenance et la maturité qu’il aurait eu en d’autres circonstances. En vrai étourdi des convenances, mais pour autant non dénué d’éducation, une petite décharge lui rappela que ‘ce n’étaient pas des manières’ comme diraient les maîtres de l’étiquette. Changeant de registre, il ajouta quelques mots tout bas.

« … j’espère ne pas vous apparaître importun. »
Aliaume Delalande
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie

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Aliaume Delalande
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Lun 1 Jan 2024 - 12:34

1

Jeudi 9 Septembre 2021, 6h.

Aliaume déambulait. Mais Aliaume Delalande n’était pas homme à déambuler comme monsieur-tout-le-monde. Non. Aliaume Delalande déambulait comme aucun autre : sous ses pieds nus, les lattes du parquet finissaient par se courber au point de former comme des vaguelettes de bois qui ne retrouvaient leur horizontalité que lorsque le vieil homme se trouvait à bonne distance — soit un peu plus de cinq pas en distance delalandienne — les fées postales venaient se poser sur ses épaules, lui polir le crâne ou jouer à cache-cache dans les noeuds de sa barbe ; les statues enchantées accompagnaient son passage d’une révérence en lui souhaitant une belle journée.

Bref, Aliaume Delalande déambulait en profitant gaiement de l’adorable pagaille qu’il traînait derrière lui. Il déambulait tellement bien qu’il se laissa surprendre par l’apparition d’un jeune homme, dont le langage redoutablement soutenu le surprit presque autant que l’heure que lui indiqua sa montre à gousset.

« Vous êtes sacrément matinal monsieur… »

Et voilà… un autre nom qui avait foutu le camp en emportant l’étiquette sur les bagages. Aliaume n’en manifestait plus aucun étonnement. Qu’à cela ne tienne, il ferait sans. Il était très fort pour faire sans.

« … hm. Pardon, je n’entends plus aussi bien qu’auparavant. Qui vous a soufflé un malheur ? »

Le coup classique : la sourde oreille. Qui aurait l’ignominie de croire que ce n’était pas le cas ? Aucune personne saine d’esprit. Un vieil homme n’était pas censé entendre, c’est comme ça. Personne ne demandait au soleil de se lever ailleurs qu’à l’est ? Non ? Bon bah voilà, un vieil homme ça n’entendait pas tout. Mais cet enfant était-il sain d’esprit ? Aliaume ne doutait pas de sa « saineté » — qu’il lui arrivait de confondre avec la sainteté — mais quand même, s’exprimer comme un grimoire de trois cents ans d’âge quand on avait soufflé une dizaine de bougies dans son existence, ça pouvait signifier beaucoup de choses. Aliaume décidait d’en avoir le cœur net, il ne voulait pas qu’on lui tire les oreilles parce qu’il n’avait pas su déchiffrer les signes équivoques d’une confusion d’origine magique.

« Vous vous sentez bien mon p’tit ? Vous êtes tout pâle. »
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Lun 1 Jan 2024 - 12:37

Son aîné de décades avait beau avoir ce que certains appelaient une aura, en tout cas une présence, ses traits et surtout ses tatouages témoignaient sûrement de la charge de ses innombrables expériences ; en se trouvant aussi proche du personnage, Thaïs n’en était pour autant pas impressionné. Mieux valait, il aurait vrillé. Aliaume Delalande était un être humain qui existait en chair et en os depuis sa première rentrée ; les figures qui se forment par les sens à distance sont dangereuses quand l’esprit n’est pas prêt au passage à la réalité par la rencontre. Ce n’était pas un orfèvre des mots ou des notes de son enfance qui l’aurait laissé béat, tout chose, muet voire ridicule ; alors tout allait bien, il était serein. Palpitant, mais essentiellement sous l’effet de ses intuitions affriolantes sur lesquelles il naviguait.

L’élan, l’envolée du jeune Andersen retomba lorsqu’il comprit qu’il avait commis l’erreur de ne pas avoir veillé à ce que l’adulte soit dispos avant de débiter ses premières pensées venues. Aussi novice qu’un enfant délivrant sa tirade ainsi que toute sa respiration dans le même trait au parent dont le nez est toujours collé sur son journal ; si ce n’est que cet acte n’avait pas posé une once de fard sur les joues de Thaïs qui était curieux, non fébrile. Il ne nota pas l’omission du nom tout à fait normale selon les conseils qu’il avait appris pour une bonne expression : dans l’adresse directe ajouter le nom est une formule de politesse inélégante et vulgaire. Même si trop peu se renseignaient sur les fautes d’usage pour éviter cet écueil ; c’était le genre de connaissance atypique qui suffisait à l’amuser un bon coup. Autrement, le directeur n’était peut-être pas particulièrement marqué par son homonyme dont les contes n’étaient pas tendres avec leurs figures. L’adolescent se souvenait pour sa part parfaitement du patronyme Delalande car il lui rappelait immédiatement le compositeur de Louis XIV – cette Académie, dans ses jardins et son esthétique, avait d’ailleurs un petit côté roi Soleil à son goût.

Dire qu’il comptait aussitôt l’interroger sur sa musique, Thaïs se sentit subitement mal pour son aîné. C’était un bien triste coup du sort que d’être progressivement privé de ses sens et notamment de son ouïe. S’il avait déjà vu des appareils de compensation non-magiques pour l’audition, il n’était pas très au fait des solutions magiques qui pourraient convenir au pauvre homme ; dans la mesure où il les souhaitait, bien sûr. Comment est-ce que les professeurs communiquaient avec lui ? Est-ce qu’il devra apprendre la langue des signes française sorcière ? L’élève convint du moins que son débit aux tendances véloces sous le coup d’émotions devra être un peu bridé. Surpris par la dernière question, ses mains se plaquèrent sur ses joues pour en jauger la température ; la fraîcheur venait de ses doigts, nulle froideur de tête à signaler.


« Ne vous inquiétez pas, ce doit être mon teint naturel. »

Espérant avoir dissipé le doute, Thaïs revint à la charge.

« Je suis désolé que vous n’entendiez plus si bien. Je pensais vous demander si Michel-Richard Delalande était votre quadrisaïeul ou si vous n’étiez pas du tout apparentés ; mais peut-être que la musique vous rend triste si vous n’en profitez plus autant. J’aime bien son concert de trompettes, pimpant et énergique. Oh, mais ce doit être la raison pour laquelle vous ne vous encombrez pas de semelles ; pour mieux sentir les vibrations ? Vous êtes très futé. Oui, je pense que vous pourriez sentir sa musique comme ça. D’ailleurs, Beethoven amplifiait avec des cornets acoustiques quand son ouïe déclinait, je les ai vus à Bonn ; puis il a continué à écrire de la musique devenu sourd parce qu’elle jouait mentalement. Vous entendez bien les sons dans votre tête ? »

S’accordant une brève respiration avant de reprendre, ses pensées se dispersaient un peu partout telles des éclats d’obus à pêcher en son esprit chaotique, le jeune Andersen ne lâchait néanmoins pas le fil pour clore la boucle et donner un semblant d’unité à l’ensemble.

« Vous qui vous rendez sensible aux vibrations ; avez-vous déjà perçu un pouvoir particulier ? Comme celui d’un de nos dieux de Beauxbâtons ? »
Aliaume Delalande
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Directeur & Professeur d’Alchimie

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Lun 1 Jan 2024 - 12:42

2

Si l’adolescent prétendait que ce blanc était naturel, Aliaume venait de tomber sur un élève qu’il caractérisait d’ermite. Comprendre par là que le pauvre petit ne prenait pas beaucoup le soleil. A bien regarder la forme de sa broche — la rune de Lug — ce n’était pas si surprenant… Les élèves de cette confrérie — dont il était lui-même issu — se divisaient schématiquement en deux espèces : les amoureux de la nature et de ses grands espaces et les amoureux de la poussière, du genre qui pousse sur les livres de la Chapelle par exemple. L’adolescent devait être de la deuxième espèce. Ceci expliquait sans doute cela.

La suite ressembla à cette activité non-mag’… Comment elle s’appelait déjà ? Celle où deux individus en short saillant avec des poings rouges comme des pastèques s’amusent à faire des moulinets avec les bras… Raaaah ! Saleté de mémoire ! Bref, comme dans ce machin-là, Aliaume fut acculé contre une barrière de cordes. Jamais, jusqu’alors, il aurait imaginé qu’on pouvait débiter autant de mots en un si court laps de temps. Ce petit était surprenant ! De là à dire qu’Aliaume avait bien tout compris, du-genou ! Voilà. Il connaissait bien un Michel-Richard, mais après une longue carrière dans la gastromagie, il s'était retiré à Bras-de-Mer pour y couler des jours pluvieux. Rien à voir avec ce…ce quoi d’ailleurs ? Le vieil homme avait déjà oublié. Devait-il poursuivre son numéro de la sourde oreille ? Il avait tendance à croire qu’il ne fallait pas abuser des bonnes choses alors il assembla le peu de mots retenus au moment où l’adolescent lui infligeait une nouvelle question tonitruante.

Des dieux ? Aliaume n’était pas très porté sur la question divine, mais là il devait avouer qu’il ne l’avait pas vu venir. Il avait entendu beaucoup de choses sur les religions, mais pas qu’elles s’attrapaient par les pieds… de quoi le laisser songeur et lui faire envisager de porter des chaussettes pour la première fois depuis des lustres.

« Je ne crois pas me souvenir d’un Michel-Richard, mais l’arbre généalogique de ma famille ressemble à Yggradsil, l’arbre sacré des sorciers scandinaves. Deux de mes arrière-grands-mères ont eu respectivement treize et seize enfants alors allez savoir. »

Il s’en sortait bien. C’était un bon début pour quelqu’un qui n’écoutait qu’à moitié. Encouragé par sa tenue de conversation, il poursuivit sur sa lancée :

« Quant à l’académie, je ne crois pas qu’elle ait accueilli le moindre dieu. Ces gens-là vivent sur d’autres plans si j’ai bien tout compris. Si vous en avez vu quelque part il doit y avoir une mépr… »

Il s’arrêta au beau milieu de sa phrase.

« … attendez vous parlez de Dagda, Lug, et Ogme ? »

Cette fois s’en était trop. Aliaume partit d’un rire communicatif. Quand il retrouva l’usage de son sérieux, il affichait un sourire béat.

« Ce ne sont pas des dieux mon cher ou alors les trois plus grands sorciers du monde celte ont fait plus d’adeptes que prévu. »
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Lun 1 Jan 2024 - 13:08

Oh, il fallait croire que même s’il était bien apparenté au musicien, ce dernier ne devait de toute façon pas être une légende familiale puisque le directeur paraissait ne pas le connaître. Thaïs était tout de même légèrement déçu, s’étant trop vite imaginé manipuler des manuscrits exclusifs directement encrés de la main du compositeur gardés en précieux héritage. Hum, fabulations, sans doute ; comme si un potentiel descendant se les serait trimbalées sur lui. Ceux qui se baladent avec prennent le risque de les perdre, comme l’autre fanatique de Wagner qui avait égaré des partitions autographes de l’un de ses opéras parce qu’il les gardait sur soi, ce qui n’est pas l’endroit le plus malin de conservation. Tant pis pour Michel-Richard, donc. Il n’empêchait qu’avec une famille aussi étendue, nul doute que les coffres de souvenirs et vestiges devaient être passionnants à exhumer.

« Wow, votre famille doit être partout… attendez… vous dites que c’est leur arbre sacré comme si ce n’était pas juste une image mythologique… les neuf Mondes existent ? Les sorciers scandinaves peuvent utiliser ce portail pour visiter les elfes, les géants, les Ases, les Vanes ?! »

Quand il lisait des mythes, il n’y avait pas toujours l’annotation ou le témoignage permettant de confirmer que c’était une part de l’histoire sorcière ou bien des récits de culture purement non-magique. Par exemple, les Genèses étaient pour lui de l’ordre de la métaphore mythologique : magie ou non, il n’était pas convaincu qu’il suffisait de claquements de doigts de divinités pour créer l’Univers. Au vu du tour que prenait la conservation, monsieur Delalande n’était pas loin de lui apprendre qu’un groupe de sorciers surpuissants avait décidé de sculpter le monde en quelques jours ; pour ne pas risquer de prendre un coup de massue supplémentaire à ses croyances, il éluda prudemment cette dernière thématique. Il voulait bien croire en des puissances naturelles, en des entités telles que décrites par la cosmogonie comme Ouranos, Gaïa ou Chaos ; mais tout de même pas que c’en était une œuvre sorcière. Non, elles étaient autonomes, avaient leur propre pouvoir. À son sens. Le jeune Andersen avait le tournis. Si des récits anthropomorphisaient les parties pulsantes de la nature ; cette personnalisation n’était que narrative. Certains phénomènes sont si primordiaux qu’ils obtiennent un nom, tout simplement. Gaïa n’est pas une déesse à l’identité humaine, mais Terre est indéniablement puissante. Thaïs reconnaissait néanmoins que les divinités chantées par les filid n’étaient pas tout à fait comme les gréco-romaines ou les germano-nordiques. Souvent, ces ‘dieux’ connaissaient une enfance presque ordinaire, dans le monde des hommes. Il n’y avait pas autant cette dimension distincte comme l’Olympe ou justement les Royaumes divins de l’arbre. Seraient-ce des Hermès ? Sang-mêlé de naissance mortelle devant prouver avoir sa place au rang des dieux ?

« Je ne suis pas sûr de suivre… ce sont des sorciers ayant le même prénom que les dieux ou les dieux qui sont sorciers ? »

Ce pouvait aussi être comme son père, Kassandre, qui n’était pas la voyante troyenne que nul ne croyait quant à ses inéluctables prédictions ; mais seulement un mage actuel. Mais qui étaient-ils donc réellement ? S’étant mangé des contes celtiques ; diable ce que leurs vies étaient bien remplies.

« Ils ont vraiment fait tout ce que nous pouvons lire dans les Cycles ? Ou bien ils ont une autre histoire s’ils ne sont pas eux ? »
Aliaume Delalande
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Lun 1 Jan 2024 - 13:12

3

Le vieil homme pencha la tête sur le côté, comme si observer l’adolescent sous un angle différent lui révélerait quelque chose ; un détail passé inaperçu. Mais rien ne lui sauta aux yeux. Ce bonhomme était simplement habité d’une âme trop vieille. Ce n’était pas insurmontable, mais certainement handicapant selon les circonstances — Aliaume lui souhaitait de tout cœur de ne pas se révéler à ce point en présence d’un être aimé, de peur de voir ce dernier détaler comme un lapin. Les géants, les elfes, ça Aliaume connaissait ; mais « vanne », « aze », « neuf mondes » — alors qu’un seul était parfois de trop — il n’en avait jamais entendu parler. Peut-être était-ce d’autres bizarreries non-mag’ ? Ils en cultivaient un certain nombre. En tout cas, en lecteur assidu du Cri de la Gargouille qu’il était, Aliaume était certain de n’avoir jamais vu ces mots dans aucun article du journal depuis qu’il foulait cette bonne terre de ses pieds nus.

La suite le laissa d’autant plus esseulé. Il se sentait comme face à un ministre de la Magie d’un pays lointain, perdu, incapable de saisir la moindre référence ou, pire, de comprendre un traitre mot à leur langue. Comme je le disais, le vieil homme n’était pas vraiment porté sur la question religieuse. Mais prétendre que Dagda, Lug et Ogme formaient le début de quelque chose qu’on pouvait appeler religion lui semblait totalement ahurissant. Jamais aucun sorcier n’aurait la bêtise de vouer un culte à ces trois-là. Sur ce coup-là, Aliaume devait la jouer fine. Il était évident que ce bonhomme n’avait, au mieux, pas assez dormi cette semaine, au pire, été victime d’un philtre de Confusion ou du moins quelque chose de magique avec le mot confusion dedans.

« Marchons un peu si vous le voulez bien. »

Sous ses pas rythmés par les appuis de son bâton de marche, les mêmes événements magiques se répétaient, inlassablement. Inlassablement, Aliaume n’y portait pas la moindre attention, habitué à la présence de la magie comme il l’était à celle de l’oxygène.

« Allons prendre l’air ensemble. »

Lentement mais sûrement, le vieil homme se dirigea vers l’aile sud. Il passa devant l’entrée protégée de la tour de Dagda, se glissa entre les portes grandes ouvertes qui marquaient la fin de la Grande Galerie et le début du hall par lequel on accédait à la seule trouée dans les remparts. Le bon air vivifiant, chargée de gouttelettes en suspension dans la brume du matin, donna le sourire à l’ancêtre. Mais alors qu’il s’engageait dans l’escalier descendant vers les jardins sud, il marqua une pause pour laisser le temps à ses cuisses de refroidir un peu.

« La vie de Dagda, Lug, et Ogme repose essentiellement sur une tradition orale, dit-il en jetant un coup d’œil par-dessus son épaule pour s’assurer qu’il était suivi comme son ombre. Qui dit tradition orale dit qu’on lui fait dire ce que l’on veut. Je connais encore deux ou trois maîtres de la tradition orale qui pourrait vous raconter bien des aventures… Mais ces trois-là, assurément, étaient de grands sorciers à une époque où acquérir du pouvoir n’était pas si difficile pour trois personnes rusées. La magie n’était pas du tout réglementée comme elle l’est aujourd’hui. »

Sur ces mots, et les cuisses un peu plus tièdes, le vieil homme entreprit la descente des marches.
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Lun 1 Jan 2024 - 13:15

Les êtres de temps trop anciens ne bénéficient pas du travail précis des historiographiques ; alors quand Thaïs parcourait les hauts faits mythiques notamment de ces trois personnages, il les sentait bien mi-ancrés mi-distants. En dépit des très probables extrapolations au fil de la transmission séculaire des récits, son côté ‘gamin naïf’ se disait que ce serait tout de même chouette si tout avait bien eu lieu, si tout était possible. D’un autre côté, il n’était pas sûr que cette planète soit assez vaste pour contenir à elle-seule toutes les figures et tous les univers que ses ambres avaient absorbé depuis que les mots avaient un sens pour lui. Est-ce qu’elle pourrait être soumise à un sortilège d’extension pour accueillir le fruit de l’ensemble des imaginaires magiques ? Une telle entreprise exigerait l’union de nombre de mages, représentant chaque pôle, chaque continent ; afin de former une sorte de… congrégation de l’infini. Une simple annonce dans la rue Claudel ne suffirait assurément pas ; et qui le suivrait ? Ce serait sans doute un moyen de tomber sur des semblables…

Quoiqu’il en soit, s’il existait bien des consciences immortelles évoluant au même niveau qu’eux, ce n’étaient visiblement pas ces sorciers que le directeur avait plutôt évoqués comme de simples mortels. Car les sorciers immortels, même sans interdit magique explicite, ça n’existe pas ; sauf dans les mémoires, mais voilà. Même les Flamel ne l’étaient plus ; et quelques centaines d’années ne représentaient en somme pas grand-chose : n’importe quel héros grec ayant connu l’apothéose pouvait prétendre avoir bien plus de bouteille… si le Panthéon n’était pas déjà mort.

À construire son monde à partir de ceux de papier plutôt que par l’exploration de celui à l’extérieur, le jeune adolescent avait encore beaucoup à apprendre ; ce n’étaient pas ses histoires qui lui feront ses armes pour confronter la réalité. D’autant que les gens se comportaient rarement comme dans ses livres. Ce serait fort étrange, si sa propre existence était écrite comme un récit, s’il avait beau songer ; tout cela n’était que le fruit d’un être autant de papier que ses référentiels. Un frisson le parcourut, s’imaginer avoir autant d’épaisseur qu’un parchemin était une vision horrifiante. Quelque peu désorienté, ses doigts allèrent spontanément à la rencontre de sa boussole qui ne le quittait jamais pour la serrer comme un talisman alors que jambes suivirent le mouvement initié par son aîné. Pourquoi pas, il aimait bien marcher ; mais s’il avait souvent rechigné lorsqu’on lui proposait un tour, une fois mis sur les rails avaler les chemins était apaisant, surtout lorsqu’ils étaient respirants.

‘Trop génial !’, se serait exclamée la version plus exubérante du jeune Andersen en entendant que l’art oral avait encore ses porteurs de flambeaux. Aèdes, filid, chantres, peu importent leurs noms ; étaient encore présents. Il savait que pour avoir des textes d’une qualité finale aussi dingue et époustouflante que l’
Iliade et l’Odyssée, les épopées avaient dû passer par des générations d’aèdes en peaufinant les chants ; et ne trouvait donc à redire sur son constat.

« J’adorerais entendre ces maîtres ! Il existe encore un système d’apprenti ? Alors, ce sont comme des héros d’épopée dont les exploits revêtent un nouvelle couleur au fil des conteurs qui les narrent ? Les confréries en sont seulement un hommage ; ou bien auraient-il tout de même laissé un héritage, un bout de leur essence par ici ? »
Aliaume Delalande
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Lun 1 Jan 2024 - 13:19

4

Arrivé en bas de l’escalier, un brin essoufflé par l’effort qu’il avait dû fournir pour parvenir jusque là sans se déboîter une hanche, Aliaume s’arrêta quelques secondes. Le temps pour lui de mettre la main sur la dernière confiserie encore présente dans ses innombrables poches. Le vieil homme haussa un sourcil en découvrant qu’il s’agissait d’une dent de parisette. Tant pis, ses yeux prendraient une autre couleur pendant quelque temps — il s’avérerait quinze secondes plus tard que ses yeux étaient devenus violets — ça ne le gênait pas. Il avait seulement besoin d’injecter un peu de sucre dans son organisme — ce qui était une raison hautement plus raisonnable que toutes celles qu’il avait utilisées pour se gaver de confiseries ces derniers jours. Sur cette décision, Aliaume défit l’emballage et s’envoya la dent de parisette dans le bec sans ménagement. Privé de son trésor, l’emballage se désintégra en un instant entre les doigts du directeur.

Ayé, il sentait le regain d’énergie ! En route !

« Ce sont de vieilles personnes aujourd’hui. Je ne sais pas si elles auraient encore la patience de couver de jeunes gens avides de savoir. »

Ô si il le savait. Aliaume devinait aisément que le caractère de Baudoin et consorts était hautement incompatible avec l’idée de trimballer un apprenti trop énergique. Par ailleurs, Aliaume ne doutait pas qu’ils eussent assurer la transmission de leur savoir il y a des années en arrière.

Contournant la statue des époux Flamel, Aliaume leur adressa un hochement de tête et poursuivit son chemin plein sud.

« Oui on peut voir les choses comme ça, continua Aliaume en réfléchissant au genre d’individus que devaient être Dagda, Lug et Ogme. Toutes les légendes ont un fond de vérité. Il est parfois difficile de le déterrer sous la tonne de mensonges accumulés par-dessus, mais le fond est bien là, quelque part. J’imagine que nos trois compères ont accompli bien des exploits en leur temps, mais aucun qui ne soit parvenu jusqu’à notre académie. Elle a été construite bien des siècles après leur existence. »

Ça aussi c’était un mensonge mais Aliaume s’en fichait. Les trois grands artefacts des confréries, au mieux conçus par ces trois grands esprits, au pire ayant appartenu à ces mêmes trois grands esprits, étaient bien gardés. Certaines choses devaient rester secrètes ou du moins si mystérieuses qu’il était impossible de démêler le vrai du faux.    Arrivé au bout du terrassement, Aliaume descendit une autre série de marches puis il bifurqua à gauche pour s’engager dans une allée bordée de vieux chênes. Au bout de cette allée se dressait un bâtiment que les amateurs de Guérison connaissaient bien : l’antre du professeur Yapara. Le sourire aux lèvres, Aliaume  s’arrêta pour observer l’adolescent.

« Qu’est-ce qui vous fait croire que le château pourrait abriter leur héritage ? demanda-t-il d’un ton badin. »

Leçon numéro un du manuel du directeur futé : poser des questions anodines en apparence pour comprendre ce qu’il se passe vraiment en coulisses.
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Lun 1 Jan 2024 - 13:21

L’aisance du vénérable directeur était communicative ; alors qu’il paraissait savoir où ses pas le menaient, le jeune élève prit le parti de faire plutôt confiance à son guide et de desserrer la poigne sur son instrument de navigation. Sur les marches, l’un de ses bras au moins était toujours maintenu libre par sûreté, afin de faire le balancier en cas de déséquilibre, ce qui n’était pas rare – à moins d’un sol pourvu de motifs réguliers, l’enfant ne savait pas marcher droit – et il préférait éviter de bousculer monsieur Delalande. Son récent relâchement avait toutefois des limites car il n’empêcha pas sa face de grimacer en le voyant enfourner un truc suspect, une Dent de Parisette, lui aurait-on appris s’il avait demandé. Thaïs était rebuté, mais peut-être que son aîné en avait besoin. Distrait par cette infime interférence, il se méprit un instant et crut entendre parler des celtes comme de vieilles personnes ; ce qui déclencha presque une vrille, avortée à temps par la phrase suivante. Oh, bien sûr, il parlait de ses connaissances bardes.

Minute, la patience ne s’acquérait-elle pas précisément avec le grand âge ? Était-ce plutôt la crainte de ne parvenir au bout d’une formation, à l’image de Brom le Conteur n’ayant qu’à peine esquissé les premiers traits de l’apprentissage de son fils, ayant emporté bien trop de secrets en expirant ? Le jeune Andersen était prêt à accepter qu’ils préfèrent couler des jours paisibles ; nul doute qu’en outre de la transmission, les récits se recueillent au fil de tribulations éprouvantes. Comme pour la musique, quand Bartók avait sillonné les terres pour enregistrer les chants locaux.

Son esprit s’était sûrement déjà reconfiguré pour mieux accueillir les nouvelles désarçonnantes sortant de la bouche de l’adulte, d’où le seul haussement de sourcils exprimant sa surprise lorsqu’il apprit que ce trio n’avait pas été impliqué en personne dans la genèse de Beauxbâtons. Ce serait comme enseigner le solfège dans la classe ‘Beethoven’ ou ‘Stravinsky’ sans que ces derniers n’aient jamais foulé les lieux ? En soit tous les conservatoires et toutes les bibliothèques municipales de Paris, sa ville, suivaient ce principe ; à savoir prendre le nom d’une personnalité musicale ou littéraire sans que cette dernière n’ait de lien particulier avec l’établissement. Souvent, les élèves dudit conservatoire étaient à peine au courant de qui était ce compositeur, surtout si du dernier siècle ; comme la salle Boulez de Philharmonie dans laquelle il n’eut jamais l’opportunité de diriger. Cela n’aurait pas dû autant l’étonner ; mais Thaïs s’était persuadé que l’Académie avait quelque chose de plus… originaire. Si ce n’étaient que des noms en l’air, ce ne pouvait… regardant autour de lui, le cadre reconnu lui offrit une ouverture.


« Je n’arrive pas à croire que ce ne soient que des symboles. Si les apothicaires se placent sous le caducée d’Asclépios et admettent ne pas avoir son pouvoir de la guérison ultime qu’est la résurrection ; je ne pense pas que Lug, Ogme et Dagda soient seulement nos caducées. Ou alors, peut-être dans un sens plus propre du terme : pas le dessin d’une devanture mais un emblème tangible, avec un pouvoir représentatif. Ne seraient-ce que nos runes des éléments protègent un potentiel magique. »

L’adolescent le concédait, il ignorait pourquoi il manquait la rune de l’air, pourquoi ce n’était pas quatre comme leurs voisins britanniques ou américains ; mais tout de même, les élèves n’étaient pas liés à une forme sans implications. Enfin, pour la trinité, ce devait être culturel ; il était certain qu’être séparés d’une Manche ou d’un Atlantique faisait toute la différence.

« Et la Devineresse ? Elle nous sonde bien parce que de quelque manière, nous formerions… une lignée ? Des familles ? Dans la mythologie il y a des descendances de héros qui forment des populations entières. N’y aurait-il pas de cela ? La sorcellerie ici serait leur sorte d’enfant pluriel ? Avec des branches dont ils auraient été précurseurs. Pas forcément par le sang, mais quand même un héritage transporté à travers les générations. »
Aliaume Delalande
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie

Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie

Aliaume Delalande
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Lun 1 Jan 2024 - 13:27

5

UN QUOI ? Hurla l’esprit du vieil homme qui, l’espace d’un instant, craignit de voir sa pauvre tête se détacher de son cou sous le coup du choc. Un cadu-QUOI ? de Asél… ATTENDEZ-QUI-ÇA ? Il n’avait jamais vu un seul apothicaire se placer sous quoi que ce soit. Ces gens-là travaillaient généralement derrière des comptoirs ou des vitrines pas sous des cabu… cadu… non Aliaume avait perdu le mot. Mais il était désormais sûr et certain d’une chose : l’état du pauvre enfant se dégradait à vitesse grand V. Il devait accélérer le pas ! Le temps était certainement compté — remarquez qu’il l’était toujours, quelles que soient les circonstances. Reprenant le sens de sa marche, et forçant un peu plus son allure — pour atteindre, notez-le bien, la vitesse d’une tortue poursuivie par un lièvre — Aliaume écouta d’une oreille distraite le discours décousu de l’adolescent au sujet de la Devineresse et d’une sombre histoire de lignée et de héros.

Rien n’allait plus dans cette caboche. Aliaume n’était pas du tout d’un naturel inquiet mais il devait bien admettre qu’il était présentement préoccupé par la santé mentale de cet élève. Il souhaitait de tout cœur qu’il ne conservât aucune séquelle, mais pour ça il fallait faire au plus vite et au plus efficace. Ce qui sous-entendait atteindre, au plus vite, le bâtiment au bout de l’allée et confier l’enfant à la personne la plus efficace en la matière. Tatiana — la professeure Yapara — donnait cours aux premières années à neuf heures, s’il ne s’y trompait pas. Ce n’était pas encore l’heure du petit-déjeuner, mais Aliaume était convaincu que la maîtresse de la confrérie d’Ogme était déjà debout à cette heure — notez également que cette conviction reposait sur une absence de preuves très solide.

« La Devineresse connaît l’essence de nos facultés magiques mieux que nous les percevons et nous confie à la confrérie qui nous permettra de magnifier ces facultés naturelles, dit-il pour meubler le temps. Notre généalogie ou un quelconque héritage n’entre pas en ligne de compte. La magie est facétieuse et bien trop vieille pour se soucier du sort des hommes. Notre existence ne représente qu’un grain de sable à son échelle. Elle nous enveloppe comme elle enveloppe tout le reste. Si la Devineresse vous a envoyé dans la confrérie de Lug c’est qu’elle sait que c’est là et seulement là que votre magie s’exprimera à son plein potentiel pour vous permettre de devenir le sorcier que vous ne pouvez même pas soupçonner. »

Arrivé devant la verrière qui sert de salle de classe à la professeure de Guérison, Aliaume souffla une nouvelle fois et toqua vigoureusement contre la porte en verre. Environ une dizaine de fois d’affilée.

« PROFESSEURE ! hurla le vieil homme. » Puis se tournant vers l’adolescent, il posa une main paternelle sur son épaule. « Nous sommes tous les instruments de la magie, mon brave, dit-il avec un sourire qui se voulait encourageant mais qu’il était difficile d’admirer sous son épaisse moustache. Ne bougez pas d’ici. Quand le professeur Yapara vous ouvrira, expliquez-lui tout ce que vous venez de me dire, l’histoire des apothicaires, des dieux etc. Elle se chargera du reste. C’est une brillante sorcière. Allez, courage. »

Sur ces bons conseils — un vieil homme n’était-il pas toujours de bons conseils ?

Aliaume prit congé. Seulement au bout de cinq ou six pas, le vieil homme se demanda s’il n’était pas judicieux de revoir son approche. C’est qu’il ne tenait pas spécialement à devoir écouter ou du moins faire mine d’écouter un professeur en colère. Tatiana était une femme de caractère. Elle n’apprécierait peut-être pas… dans le doute hein : « Orchideus, formula-t-il en dégainant sa baguette magique. » Et le vieil homme de revenir vers l’adolescent pour lui tendre une magnifique couronne de fleurs dans les tons chauds. « S’il vous plaît, offrez ces fleurs au professeur quand elle vous ouvrira. Dites-lui que ça vient de vous ou de moi, peu importe. Ça la mettra dans de bonnes dispositions pour vous soigner. »

Sa conclusion toute trouvée, le directeur se tourna et repartit par l’allée bordée de chênes en sifflotant, fier de sa bonne action. La journée promettait d’être belle !


[FIN]
Le Narrateur
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Ami des Lettres

Le Narrateur

Lun 1 Jan 2024 - 13:29

Un peu surpris de le voir virer plus franchement en direction de l’espace du professeur Yapara – monsieur Delalande avait-il un rendez-vous de gérontologie à ne pas manquer ? – l’enfant le suivit d’un pas hésitant ; se sentant d’avance intrus des affaires entre adultes que ces deux-là auraient à régler s’il avait vraiment l’intention de rendre visite à l’enseignante. Ralenti par ses respirations de-ci de-là de la flore qui ne serait à n’en pas douter une merveilleuse inspiration pour composer un Orchideus, il œuvrait à ne pas se faire distancer, se demandant d’un autre côté s’il ne valait pas mieux déjà le laisser là pour qu’ils puissent avoir un moment un peu plus privé où un élève n’avait pas sa place ; tout en réfléchissait à ce qu’il disait.

Ayant été Santourbillon, les facultés du petit-Thaïs avaient dû être alors cafouillis ; et il avait choisi Lug entre autres pour un motif aussi simple qu’une ressemblance phonique avec le luth et un rapprochement aux cordes pincées. À l’inverse de ce que prétendait le bonhomme, l’adolescent interprétait ces explications comme la confirmation qu’en étant rassemblés selon leurs essences magiques ; ils dessinaient bien des lignées. Même si la magie avait sa place au-delà de ces héritages auxquels il songeait, l’Académie proposait d’explorer préférentiellement certaines sections du Dédale. Devant la vigueur avec laquelle l’adolescent le vit solliciter l’habitante des lieux ; une indescriptible peur s’insinua dans ses pores et il se sentit trembler légèrement. Si l’on frappait ainsi à la porte de son foyer, il aurait des sueurs froides et probablement l’inexplicable envie de se terrer.

Son entrevue était-elle donc si urgente ? Ses pupilles dilatées devaient encore manger presque tout son ambre lorsque le directeur se tourna enfin en sa direction ; le jeune Andersen avait définitivement perdu toute verve. Il ignorait que madame Yapara était une experte en matière d’affiliations magiques, mais après tout, en songeant à son exemple, elle pourrait bien connaître l’existence ou non du caducée d’Asclépios qui serait l’équivalent du Saint-Graal de la guérison ; d’où cet arrêt. La façon dont il avait été reconduit puis abandonné sur le seuil le laissait tout de même sceptique. Sans avoir eu le temps de remettre ses idées en ordre, l’aïeul lui revenait déjà avec des fleurs magiques. Un message caché dont il devait se faire l’émissaire ? Ce devenait donc une mission diplomatique. La suite acheva de le décontenancer complètement : il ne l’avait pas vu venir, et voilà que Thaïs avait été mis en embuscade à son insu. Se soigner ; mais de quoi parlait-il ? Il l’avait donc conduit vers une salle d’attente. S’il devait être déraillé, ce n’était que par cette dernière parole. Cet homme, sous ses airs innocents, était redoutable. Avec le peu de manœuvre à sa disposition, l’étudiant devait ingénier en vitesse pour s’en sortir indemne avant que l’hôte ne se pointe, potentiellement attirée par le raffut. Posant la couronne au sol, il entreprit de graver la terre pour la compléter d’un arc de cercle interne ; formant à la va-vite un symbole qu’il espérait assez explicite de l’éclipse ; indiquant ce qu’il était advenu de son visiteur avant de disparaître, le cœur battant.

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