Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Partie 1
Février 2023
La salle des cours d'Alchimie est toujours une surprise, on ne sait jamais sur quoi l'on va tomber : quel plafond ? Quels instruments ? Quelle organisation de l'espace ? Le mystère est toujours entier jusqu'à ce que l'on franchisse le pas de la porte. Aujourd'hui, des tubes et récipients sont disposés sur un ensemble de paillasses, dans une pénombre uniquement perturbée par des flammes bleues. Je m'avance avec prudence et slalome fluidement entre les paillasses pour m'arrêter sur l'une de celles du fond de la pièce. Une fois installé, j'ouvre le traité d'alchimie et tourne ses pages parcheminées sans me préoccuper des symboles alchimiques lumineux qui s'inscrivent sur les murs à la fermeture de la porte. Je ne dirai pas que leur apparition n'a plus d'intérêt pour moi, juste que me focaliser ne serait-ce qu'une seconde sur eux est finalement une perte de temps. Je ne vais pas m'émerveiller des mêmes choses infiniment. Je ne relève la tête de la page vingt-sept que lorsque Aliaume Delalande commence à prendre la parole.
Et est vite interrompu. Pour une fois qu'il ne se trompe pas dans le prénom, il a fallu qu'il écorne la nationalité de l'auteur du traité. Toutefois, cette bavure n'offusque personne et il arrive à amuser la galerie. Moi-même je ne peux m'empêcher un sourire. Il a quelque chose qui met tout le monde d'accord, une aura irrésistiblement joyeuse et bienveillante qui m'apaise et me donne l'envie de me surpasser. Il n'y a qu'avec lui que je ressens ça. Les autres professeurs me laissent indifférents quand bien même certains de leur cours peuvent me paraître fascinant. Même mon oncle ne m'apparait plus aussi intéressant que lors de mes premières années.
En plus de son aura magnétique, le professeur d'Alchimie nous expose le sujet de cet atelier qui est loin d'être ennuyeux : une matière alchimique pour communiquer avec les êtres de l'eau. Certes, je ne sais pas encore dans quelle circonstance cela pourra m'être utile, mais rien que l'idée de posséder ce pouvoir fait monter l'excitation en moi.
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Partie 2
Le vieux sorcier sort une pierre dont le bleu profond qui la colore semble mouvant, vivant. Voilà donc à quoi doit ressembler la Pierre des Océanides lorsqu'elle est parfaitement réussie. Cela me donne une idée de l'objectif à atteindre et me permettra de me corriger si nécessaire. J'observe les étranges récipients présents sur les paillasses, intrigué par leur forme. J'en apprends bien vite le nom. Ainsi donc, ce réceptacle en verre avec un bec s'appelle une cornue. Je pointe du bout de ma baguette le dessous du récipient rempli d'eau de source pour y faire naître un petit feu comme indiqué par le professeur.
Sans surprise, cette eau ne vient pas de la gamelle du premier matagot venu. Le processus pour la récupérer me semble tout de suite fastidieux et beaucoup trop restrictif. Il ne permet pas l'erreur sauf si la quantité récoltée est suffisante. Après tout, on ne peut en récupérer qu'une seule fois par an ce qui limite beaucoup la création de cette matière alchimique. Il y a aussi tout intérêt à prévoir son coup en avance si on ne veut pas louper une occasion de ne pas se faire embrocher par les êtres de l'eau, faute de les comprendre et de pouvoir se faire comprendre.
Après ces explications, l'alchimiste continue de donner ses indications pour la préparation de la matière alchimique et je m'empresse de les suivre à la lettre. Je commence par remonter mes manches pour éviter qu'elle me gène - mais aussi parce que ça permet de me mettre en valeur auprès des filles les plus proches -, puis je ramène les bâtons de lapis-lazuli à porter de main et me concentre pour réaliser le tracé de la Fusion avec une minutie presque maladive. Une fois dessiné, je compte.
Un.
Deux.
Trois.
J'y jette d'un geste vif mes trois bâtons en même que la troisième seconde s'achève et me permets un bref relâchement. Je ne peux être que d'accord avec les paroles du professeur. L'alchimie est sans contexte la matière enseignée la plus mystérieuse de cette école. Non seulement, il est parfois difficile d'expliquer pourquoi certaines tentatives échouent, mais aussi de comprendre pourquoi d'autres réussissent avec des résultats des plus inattendus.
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Partie 3
Je regarde mes bâtons de lapis-lazuli perdre leur consistance solide avant de chercher du regard le professeur pour connaître la suite. Je le trouve au niveau d'une paillasse d'un élève de Lug, en train d'expliquer par force de démonstration les étapes suivantes. Je fronce les sourcils lorsqu'il plonge directement sa baguette dans le creuset et les redresse presque aussitôt sous la surprise lorsqu'il la ressort avec le liquide bleu resté attaché. La suite me laisse encore plus perplexe. Voilà que le sorcier "frappe" le liquide contre la paillasse. Je me demande si cette manipulation est vraiment nécessaire ou si le vieil homme ne se paye pas un peu de notre tête, juste pour s'amuser. Ca ne serait pas la première fois après tout.
Je n'ai aucun moyen de le savoir, aussi je m'exécute tout aussi bêtement que les autres, faute d'autres consignes. Je plonge ma baguette dans le creuset et tourne un tour, puis deux et enfin trois dans le sens des aiguilles d'une montre avant de la retirer. Je la lève devant moi un instant jusqu'à avoir le liquide bleu en face des yeux. Comme c'est étrange, on dirait que le liquide enlace la baguette de peur de tomber. Puis sans perdre plus de temps, je le frappe quatre fois avec force contre la table devant moi en comptant pour garder une cadence égale. Je sens à la pression qui se répercute dans ma main ainsi qu'au son qu'il fait à chaque coup, que le liquide change de texture au fur et à mesure. Au bout des quatre coups, il s'est épaissie et a perdu sa liquidité. Je le remets devant mes yeux pour tenter d'y repérer les paillettes blanches dont parle directeur et en aperçoit plusieurs réparties aléatoirement.
J'abandonne un instant mon œuvre pour observer les gestes du professeur. Le comportement de la pâte à l'approche de la cornue semble être instinctif et si vivant. Comme un humain qui se recroqueville sur lui-même lorsqu'il a peur. Cela fait écho au comportement du liquide au sortir du creuset. Je me demande ce qui lui donne cette propriété. L'eau de source ou les bâtons de lapis-lazuli ? Cela ne peut être que l'un des deux et je pencherai pour le premier.
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Partie 4
L'histoire de Miguel da Paz de Trastâmara e Avis n'a rien de surprenant pour l'époque, les non-mag' étaient encore plus impressionnables et peureux qu'aujourd'hui. Contrairement au professeur d'alchimie, elle me laisse de marbre. Ce qui m'intéresse beaucoup plus est la réaction de la pâte bleue au fur et à mesure qu'il raconte l'histoire. D'abord tremblotante et fuyante, elle commence à tâtonner les bords du bec avec prudence pour finalement y pénétrer à la fin du récit ou plutôt au moment au Aliaume Delalande laisse planer un moment de silence plein d'émotions, tout du moins pour lui. La rencontre entre la pâte et l'eau de source chauffée produit un éclat bleu qui illumine le récipient. La coïncidence n'en est pas vraiment une comme l'explique le professeur.
Si trouver en moi un sentiment de colère n'avait pas été une difficulté pour l'atelier précédent, trouver un moment déchirant pour celui-ci l'est beaucoup plus. Je n'ai pas une d'enfance pouvant me faire ressentir ce sentiment. Certes, les exigences de mes parents ne l'ont pas toujours rendu tendre et encore moins la jalousie de ma sœur, mais les moments difficiles dont je me souviens me font seulement venir de la colère et rien d'autres. La marque de ma sœur sur mon cou ont certes traumatisé ma peau et l'enfant que j'étais mais aujourd'hui, c'est un passé que j'ai enterré. Non pas parce que j'ai pardonné à Natacha, bien au contraire, je ne la considère juste plus comme un être humain digne de mon intérêt.
Finalement je pense à mes années à Beauxbâtons puis à Calypso et encore une fois, mes pensées s'accrochent à un souvenir qu'une certaine sorcière blonde a ancré en moi. Je ne comprends pas pourquoi cette fille a autant d'emprise sur ma vie et mes capacités magiques. Cela m'horripile au plus haut point qu'il me faille sans cesse repenser à des évènements qui lui sont liés pour avoir des émotions utiles pour cette matière. Mais je déteste encore davantage le sentiment qu'il faut ressentir pour réaliser cette matière alchimique. Il est peut probable que je m'y adonne souvent. La colère pourquoi pas, la vulnérabilité, ça pas question.
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Partie 5
Ma réticence à ressentir les émotions nécessaire - soit la souffrance et la perte si j'ai tout compris - pour continuer le processus de fabrication de la pierre alchimique ne joue pas en ma faveur, qu'en bien même je sais détenir le souvenir parfait pour y arriver. Enfin, si j'y retire la colère et la haine qui y sont aussi associées. Toutefois, je goutte encore moins de devoir discuter de tout ça avec le directeur de Beauxbâtons, aussi quand je le vois quelques rangs devant moi en train d'échanger avec une élève sans que je ne puisse entendre la teneur de leur discussion - ce qui est heureux pour elle et dommage pour moi, j'aurai pu m'en servir contre elle plus tard -, je me force à lâcher prise. Evidement, le résultat n'est pas immédiat. Comment pourrait-il l'être quand ma volonté veut éloigner ce genre d'émotion de moi ? Mais au bout du compte et avant que le professeur n'atteigne ma paillasse et qu'un moment encore plus désagréable ne s'en suive, la pâte bleue a rejoint l'eau de source chauffée.
Je souffle un bon coup et renferme à double tour ce souvenir hautement désagréable. Le plus pénible est surement passé. La suite d'ailleurs se rapproche bien plus de l'alchimie classique que nous avons l'habitude d'aborder dans les cours généraux. J'écoute l'ensemble des instructions avant de commencer à tracer mes cercles sur mon plan de travail sur lequel je fais un peu de place. La concentration que je mets à réaliser ces derniers -comme à mon habitude - m'aurait empêché d'entendre le reste des informations si je m'étais empressé de les dessiner sans attendre la fin du discours du professeur. Les tracés faits, je dépose les racines noirs faisant office de cheveux de sirène - vraiment bizarre ces trucs, cela ne ressemble pas vraiment à des cheveux - , puis fais couler le contenu de la cornue redevenu liquide dans l'autre cercle grâce à un sortilège de lévitation. Mes gestes sont méthodiques et calculés, je ne laisse pas de place à la moindre erreur possible. Un échec ne serait pas de mon fait mais résulterait de ce que j'appelle "le mystère de l'alchimie", totalement imprévisible.
Drian Vaillant
7ᵉ année, Délégué, Ogme
Partie 6 & Fin
Je vérifie l'ensemble de mon tracé avec les éléments qu'il contient. Pas un cheveu ne dépasse et la préparation liquide est bien contenue dans son cercle. Je jette un coup d'œil au directeur qui, après une poignée de minutes, nous donne l'instruction finale. Je pose ma baguette sur le tracé et retiens difficilement mon sursaut quand une détonation se produit. Un nuage de fumée bleue envahit soudainement mon espace vitale et d'un petit coup de baguette j'invoque un léger souffle qui le disperse. Derrière trône une petite sphère ronde et parfaitement lisse de la taille d'une clémentine. Si elle semble bien plus lisse que celle présentée par le professeur en début d'atelier, le bleu qui la colore a un comportement similaire à celle du vieux sorcier.
Les détonations s'enchainent très rapidement et j'attends qu'elles s'arrêtent en observant la matière alchimique que je viens de créer. Alors que je pensai que l'atelier se finirait avec la création des Pierres d'Oceanides, je suis agréablement surpris de voir que l'alchimiste nous réserve encore une dernière surprise. Dans l'aquarium, qu'il fait surgir on ne sait comment du sol, des créatures se meuvent avec souplesse. Est-ce des sirènes ? Non, des Laminariens, peuples dont je ne connais que peu de chose, voir presque rien. Une échelle se matérialise pour nous permettre d'atteindre le haut de l'aquarium et ainsi tester notre pierre. Evidemment, je fais parti des premiers à y grimper, juste après un élève de Dagda dont la tête qu'il tire au sortir de l'eau vaut son sac de liard. L'échange semble l'avoir particulièrement troublé.
Tout en haut de l'échelle, je plonge ma tête dans l'eau et salue respectueusement les deux créatures. Ma voix est étouffée par l'eau dans mes oreilles et rien qu'ouvrir la bouche me semble étrange. J'ai l'impression qu'à tout moment, elle s'emplira d'eau pour me noyer. Pourtant rien de tout ça n'arrive et les créatures me saluent en retour. Lorsque je retrouve la terre ferme et l'air pure, le directeur a déjà disparu. Je m'empresse donc de faire de même en emportant ma nouvelle création.
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