Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
La magie collait à la peau du vieil homme comme le beurre fondu colle au toast tout juste tartiné. Il en était ainsi, et certainement pas autrement. Aliaume Delalande avait beau sortir en toute simplicité des bois qui bordaient les jardins sud, un panier de champignons au bras, d’un pas lent et cadencé par le mouvement de son bâton de marche, tout un tas de phénomènes se manifestaient inéluctablement autour de lui.
Prenez le gazon fraîchement tondu par exemple, et bien le voilà qui grandissait derrière chaque appuis laissé par les pieds nus du vieillard. Ou les parterres de fleurs qui s’inclinaient sur son passage — ne manquant pas de politesse, le directeur les saluait aussi d’un mouvement de tête — comme devant un quelconque roi de la forêt à la barbe soigneusement taillée comme une haie abandonnée depuis des lustres. Et que dire des graviers qui se faisaient un brin de toilettes pour éviter de coller le moindre gramme de poussière sous ses voûtes plantaires.
Hallucinant de majesté dans sa robe rapiécée vert olive, Aliaume s’arrêta devant le dispensaire en remarquant la tête d’une petite bouille blonde derrière une vitre. Un sourire espiègle anima son visage en réponse au sourire de l’enfant en première année. Il se détourna très vite de sa route initiale pour aller coller sa face tatouée contre la vitre en une splendide grimace de vieux fou, ce qui fit rire aux éclats la pauvre enfant alitée de l’autre côté de la vitre. Loin de s’arrêter en si bon chemin, le vieil homme l’invita d’un geste de la main à le surprendre. Et la petite de tirer sa langue en saisissant ses oreilles dans une grimace de lutin malin assez convaincante.
Aliaume s’en amusa, posa son panier de champignons sur l’herbe (tous plus dangereux les uns que les autres s’ils étaient consommés) et de sa main désormais libre, attrapa un coin de sa bouche avant de tirer dessus comme si un pêcheur des environs, du genre à avoir l’oeil facilement embrumé par les émanations d’alcool, venait de l’hameçonner. Et la petite de rire à nouveau.
Les oreilles fatiguées du directeur fonctionnaient peut-être aussi bien qu’une paire d’oreilles qui essayait de capter un murmure en plein concert du groupe de rock sorcier Cha'Kartone, mais la magie qui l’habitait, cette magie singulière qui semblait animer l’univers tout entier, cette magie-là capta sans difficulté la présence derrière lui. Sans lâcher sa bouche, Aliaume tourna sur ses talons pour trouver la maîtresse des lieux, les poings sur les hanches.
« Agh, Taghina ! Vough ghombez ghien. Ye vough cheghrais ! »
Tahina Yapara
Professeure de Guérison
Comme à son habitude, en ce jour de week-end, la guyanaise avait profité de son temps libre pour se promener en forêt, se dégourdissant les pattes mais elle n'en oubliait pas moins ses responsabilités. En l'occurrence, elle avait une patiente au dispensaire. Une jeune élève qui avait fait une crise de somnambulisme la nuit précédente, ce qui avait abouti à une mauvaise chute dans les escaliers. Et si, à présent, elle était entièrement rétablie, Tahina la gardait sous surveillance pour quelques heures encore afin, non seulement, de s'assurer que sa cheville s'était bien ressoudée mais aussi pour qu'elle puisse se reposer sans craindre de se réveiller où il ne fallait pas. Elle se dirigeait donc vers le dispensaire lorsqu'elle vit de loin une scène particulièrement cocasse. Des années plus tôt, ça l'aurait vraiment perturbé mais, à présent, elle avait fini par comprendre que le directeur de Beauxbâtons était complètement fou... à sa façon. Si seulement elle avait pu le comprendre ! Mais elle ne désespérait pas d'un jour réussir à percer le mystère.
En attendant, les lieux résonnaient des rires de l'enfant et si ça ne lui permettait pas de se reposer, Tahina ne pouvait lui en vouloir. Ni à son supérieur d'ailleurs. Et puis, ne disait-on pas que le rire était un remède à tout ? Elle s'approcha discrètement, résolue à prendre sur le fait le vieil homme et cala ses mains sur ses hanches, cherchant à afficher un air sévère. Peine perdue, elle ne s'était pas attendue à ce qu'Aliaume se retourne avec une parfaite grimace. Garder son sérieux était quasiment mission impossible mais si on ajoutait à ça les étranges mots qui sortirent de sa bouche... Échec sur toute la ligne, Tahina éclata de rire. En plus de son côté loufoque, elle pouvait lui reconnaître une chose : il était tellement décalé de la réalité qu'avec lui, elle ne se sentait même pas à mal à l'aise, contrairement à la plupart des autres sorciers.
"Taghina ? Me confondez-vous avec un plat berbère, monsieur le directeur ?"
Opter pour l'humour quand elle ne comprenait pas son supérieur - c'est à dire presque toujours - était une solution de défense comme une autre après tout !
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« Vous confondre avec Bébère ? répéta-t-il, un brin surpris par cette remarque. Vous voulez parler de Bertrand, l’apprenti en cuisine ? Non, il n’y a pas de risque Tahina, ma vue baisse, c’est inéluctable, mais vous êtes bien trop femme pour lui ressembler. Et vous n’avez pas de moustache. Enfin… il me semble. »
Sur ces mots, le vieil homme se retourna pour adresser un au revoir à l’enfant — qui le lui rendit avec gaieté — avant de récupérer son panier sur le sol.
« J’ai réalisé une excellente cueillette aujourd’hui. Regardez-moi ça comme ils sont beaux, commentait-il en se redressant difficilement — l’univers tout entier attendait que son dos ou ses hanches grincent comme la porte d’un vieux manoir mais aucun bruit comparable ne se produisit. »
Pour être beaux, les champignons récoltés étaient beaux. Magnifiques même ! Toutes les couleurs criardes étaient représentées : du rouge à points blancs au dégradé de violet vers le bleu, en passant par l’admirable orange à rayures vertes. Le seul problème, c’est qu’ils étaient tous — en cela résidait le génie de cette cueillette — absolument tous, impropres à la consommation. Au mieux toxiques, au pire mortelles. Un strike pour les amateurs de bowling !
Aliaume ne sembla pas accorder la moindre vigilance à ces sornettes de daltoniens. En approchant Tahina, il en sélectionna même un, le célèbre Écrou du Porcher qui devait son nom à sa forme d’écrou qu’un célèbre porcher avait dû un jour utiliser devant un parterre de journalistes. Le champignon arborait une couleur de lait tourné incrusté de jolies paillettes jaunes.
« Magnifique n’est-ce pas ? Et riche en étamines m’a confié un confrère qui adore organiser des sorties en forêt avec des non-mag’. C’est eux qui lui ont appris ça. »
Plus vif qu’on pouvait s’y attendre, Aliaume mordit sa chair à pleine dents — des dents bien saines à un âge aussi avancé ; Aliaume assurait à qui voulait bien l’écouter que le gastromage qui prétendait lui faire consommer de la soupe n’était pas né — avant d’en proposer à Tahina. Le champignon n’était même pas cuit selon les règles de l’art. Et quand bien même il l’aurait été ! Au mieux, sa cuisson aurait largement suffit à intoxiquer gravement tout le personnel des cuisines. Mais le vieil homme mastiquait gaiement, les yeux légèrement plissés comme un enfant fier de sa trouvaille.
« N’ayez pas peur, allez-y, croquez-en un bout ! Vous êtes toute pâle, vous manquez sans doutes d’étamines vous aussi. »
Tahina Yapara
Professeure de Guérison
"En vitamines, vous voulez dire ?"
Mais pourquoi perdait-elle son temps à le reprendre sur son vocabulaire. Étamines ou Vitamines, ce n'était pas là le problème. Il fallait surtout se débarrasser de ce panier empoisonné. Parce que, certes, Tahina n'était pas une professionnelle des champignons mais elle en savait suffisamment pour savoir que plus ils étaient colorés et "jolis, plus ils étaient toxiques.
"Vous êtes certain que votre confrère a bien compris ce que voulaient lui dire les..."
Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase. Ni même le temps de réagir tant elle ne s'attendait pas à la suite des évènements. Comme dans un film d'horreur au ralenti, elle vit son supérieur choisir un champignon et croquer dedans à pleines dents. Elle se sentit blêmir alors que son esprit carburait déjà à cent à l'heure. Elle avait vu avec les cinquième année, quelques jours plus tôt, quoi faire en cas d'empoisonnement donc il devait lui rester des potions toute faites dans son bureau. En espérant que ce serait suffisant mais comme elle aimait à le dire fréquemment : chaque chose en son temps. Paniquer était la pire chose à faire dans ces cas-là. D'autant qu'elle connaissait suffisamment son supérieur pour savoir qu'elle devait feinter pour arriver à ses fins. Lui dire que les champignons étaient dangereux et il était à parier qu'il lui rirait au nez. Que faire, que faire ?
"Vous savez quoi, j'ai dans mon bureau un breuvage qui, selon les dires de Renata, s'accorde parfaitement avec les champignons. En voudriez-vous un verre ?"
Agir vite mais sur un ton badin pour amener Aliaume à coopérer, voilà quelle était la mission de Tahina. Tout en ne le quittant pas des yeux, au cas où son organisme flancherait avant qu'elle ait le temps de lui administrer l'antidote.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Ce petit goût de noisettes fumées n’était pas déplaisant, loin de là. Il rappelait au vieil homme cette pâte marron dont les non-mag’ tartinaient leur pain à l’heure du goûter ; un élève lui avait fait goûter il y a quelques années… Le nom ne lui revenait pas, gorgonzola ? Non… un mot qui se terminait en la, ça il en était sûr, enfin sûr… à deux trois vaches près, entendons-nous bien.
Mais une association d’idées en chassant une autre, Aliaume se reconnecta à l’instant présent en entendant parler de breuvage. Le champignon était bon, mais c’est vrai qu’il donnait soif. Le vieux directeur consulta la montre à son poignet, montre qui, bien évidemment, n’y figurait pas du tout, et résolut en un instant d’accepter la proposition de sa jeune maîtresse de Confrérie vu que son emploi du temps était pour le moins libre. Il fallait savoir lever le pied, voir les deux, quand la chose était possible. Et la chose l’était aujourd’hui.
« Avec plaisir ! J’ai entendu dire que les champignons frais se mariaient très bien avec un bon verre de vin elfique de mille neuf cent quarante et un. L’abolition de l’esclavage des elfes en quarante a été fêtée par l’une des plus grandes cuvées de l’histoire un an après. »
Aliaume reposa le champignon entamé dans le panier suspendu à son avant-bras. Fermement cramponné à son bâton de marche, il emboîta le pas de Tahina à défaut de se déboîter une hanche.
« Ne me dites pas que vous possédez une de ces bouteilles ma chère Tahina ? Cette merveille vaut une petite fortune au marché vinicole de Chambon-la-Forêt… ce serait presque un crime de s’asseoir sur un tel magot… »
Avec cet argent, Aliaume s’imaginait couvrir quelques dettes contractées ici et là, rien de bien méchant bien sûr, sauf quand l’ardoise commençait à devenir plus longue que la table à laquelle on avait l’habitude de prendre ses repas. Mais ce n’était qu’une théorie parmi tant d’autres. Renata n’était pas professeur de Gastromagie pour rien… Elle n’aurait certainement pas confié une si grande bouteille à Tahina, du moins sans l’informer, lui, qu’un si grand cru venait de prendre ses quartiers à Beauxbâtons.
Fin observateur, le vieil homme guettait le visage difficilement expressif de la guyanaise tout en la suivant du mieux que ses orteils le pouvaient au contact du gazon frais.
Tahina Yapara
Professeure de Guérison
"Ce n'est pas un vin elfique mais vous connaissez Renata, son breuvage vaut sans aucun doute le détour."
Son ton se voulait enjoué, comme si toute la situation était normale mais elle n'avait jamais été très bonne actrice - du moins, en présence de sorciers - donc elle doutait de pouvoir donner le change bien longtemps. Surtout qu'elle fouillait dans sa tête pour essayer de rassembler les éléments qu'elle connaissait sur les empoisonnements aux champignons toxiques. Si sa mémoire était bonne, et elle se prenait à l'espérer, les plus dangereux agissaient en une quinzaine de minutes. Peu de temps mais largement assez pour administrer l'antidote au vieux fou. Quant à son panier, il fallait qu'elle trouve une idée pour l'en débarrasser sans qu'il n'y trouve à redire. Renata était peut-être, une nouvelle fois, la solution ? Ça valait le coup d'essayer en tout cas !
"Laissez-moi prendre votre merveilleuse récolte. Et que diriez-vous qu'on demande à Renata d'en tirer le meilleur, comme elle seule sait si bien le faire ?"
Ne pas le brusquer, ne pas le brusquer. Lui seul était capable d'ainsi pousser Tahina dans les retranchements de son peu de patience. Pour tout autre, elle n'y aurait été sans ménagement, tel un bulldozer en mission. Seulement, elle était suffisamment lucide pour ne jamais sous-estimer le vieil homme. Souvent, il était perché mais il n'en restait pas moins un grand sorcier. Et surtout, la guyanaise ressentait un profond respect pour lui. Bien trop profond pour ne pas prendre un peu de pincettes pour qu'il puisse rester dans le monde merveilleux qu'il semblait s'être construit. Elle tendit donc la main pour prendre le panier, sans pour autant arrêter son chemin vers on bureau mais attendit qu'Aliaume lui donne, de lui-même, les champignons. Arrivés à destination, ce qui prit bien plus de temps qu'elle ne l'avait pensé vu les pas lents de son supérieur, elle fit venir à lui un confortable fauteuil à l'aide sa baguette et se tourna vers son armoire où elle espérait trouver rapidement le fameux "breuvage".
"Installez-vous. Un verre complet ou vous préférez d'abord un fond afin de le goûter ?"
Faites qu'il veuille le verre complet, ça simplifierait les choses !
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Tout ça pour dire qu’Aliaume accepta volontiers de céder la propriété de son panier de champignons à Tahina et qu’il posa ses petites fesses fripées sur le fauteuil qu’elle mit à sa disposition. Il amena même le jeu un peu plus loin en poussant un vibrant soupire de soulagement au moment de s’asseoir — en général, les jeunes appréciaient d’entendre le son caractéristique du poids qu’ils pensaient ôter des épaules des anciens alors que dans les faits, le poids de ces derniers restaient le même… Si facilement manipulables ces petits.
« Merci bien, Tahina. Merci bien, répéta-t-il au zénith de sa carrière d’acteur, joignant le geste à la parole en effaçant les gouttes de sueur de son front d’un revers de la main. Un fond de verre, je vous prie. »
Aliaume en profita pour jeter un coup d’œil autour de lui. Ce bureau était une invitation au voyage en terre tropicale, même la température contribuait à l’ambiance de la pièce.
Aliaume apprécia l’effort, ne se rappelant même pas qu’il n’en était pas à sa première visite; la faute à cette mémoire, toujours, qui ne se complaisait que dans l’heureux souvenir de choses futiles. Il n’en apprécia que d’autant plus le kaléidoscope de couleurs, du vert à profusion mais plus surprenant, du jaune, de l’orange, du rouge, et même du bleu qui s’amusaient à s’intervertir d’une feuille à une autre.
Tahina avait de drôles de goûts, mais loin de le reprocher au champignon qu’il avait ingéré, Aliaume mit ces jolis changements de couleur sur le dos de la fantaisie bien cachée de la guyanaise.
« Très jolie exploitation du sortilège de Coloration, dit-il en désignant la plante grimpante dans l’embrasure de la porte. L’association avec ces sortilèges de Transfert fonctionne à merveille. »
Tahina Yapara
Professeure de Guérison
L'antidote maintenant ! Malheureusement pour Tahina, le vieux fou avait opté pour un fond de verre mais, à ça aussi elle avait une parade toute trouvée. Elle s'empara donc d'un grand verre, habituellement utilisé pour boire une pinte de bière ou toute boisson du genre et versa ainsi un fond de son élixir. Elle respectait ainsi la commande et avait le fol espoir que le directeur s'y laisserait prendre. Après tout, il devait ressentir les premiers effets du poison donc il serait peut-être un peu moins attentif ? Oui, il fallait y croire !
"Le sortilège de... ?" commença-t-elle, surprise par la question.
Mais de quoi parlait-il donc ? Tahina suivit son regard et vit la plante grimpante à l'entrée de son bureau. Une plante magnifique qui se plaisait de l'atmosphère humide des lieux mais qui était entièrement verte, sans autre couleur. Heureusement ça prit sens en quelques secondes dans la tête de la guérisseuse : des hallucinations. Super !
"Oh oui, ça ! J'ai toujours adoré les couleurs. Sûrement un peu de nostalgie envers le carnaval de mon enfance alors oui, j'aime en parer mon bureau pour égayer les lieux. Je pourrais en faire autant dans le réfectoire, si vous voulez."
Ok, elle en faisait peut-être un peu trop mais, en attendant, elle tendait le verre à son supérieur ainsi que le sien afin de trinquer, comme si ça n'était là que le nectar promis. Après tout, ça aurait pu être pire, elle aurait pu avoir un ingurgiter une potion au goût affreux comme ça arrivait parfois alors qu'en l'occurrence, la potion contre les empoisonnements avait bon goût. Ce qu'il ne fallait pas faire, j'vous jure !
"A votre santé, Aliaume !"
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« Hm... »
Traduction : le chauve était dubitatif.
« Renata produit de meilleures tartes vire-casaque... commenta-t-il, un peu surpris par ce goût trop fruité pour se marier avec celui du champignon. Cette boisson manque de... »
Oui d’ailleurs, elle manquait de quoi ? L’étudiant en Gastromagie qui ronflait sur sa table dans un coin de sa mémoire grommela quelque chose. Un vague : ça manque de terre, d’écorce et d’herbe fraîche.
« ... de caractère, conclut-il en posant son verre vide. Renata n’en tirera pas grand chose si vous voulez mon avis. Elle ferait mieux de se consacrer à ses tartes. Les meilleurs critiques de la Chtit’ Bedaine en pleureraient d’amour si nous leur donnions l’autorisation d’y goûter. »
Comme il n’avait rien de plus à ajouter, et qu’il se sentait regagner des forces qu’il n’avait même pas vu partir, le vieux directeur jeta un nouveau coup d’œil vers la plante grimpante. Elle avait maintenant retrouvé toutes ses nuances de vert parfaitement communes. Finalement, les compétences de Tahina en matière de sortilèges n’étaient pas tout à fait concluantes. Mais Aliaume se garda bien de le faire savoir à la principale intéressée. Il n’était pas du genre à rabaisser ses professeurs, ça non. En toute sympathie, il essaya même de détourner l’attention visuelle de Tahina de cet échec cuisant en se levant pour faire les cent pas. Il alla même jusqu’à aborder une question plus personnelle :
« Bien... très bien... dites-moi Tahina, nous ne prenons jamais le temps de discuter vous et moi, la Belgique vous manque ? »
Si Odin, son infernal corbeau, avait assisté à cette question, nul doute que le vieil homme se serait fait tirer les poils des oreilles à coup de bec pour lui faire entendre qu’il faisait totalement fausse route. Mais comme Odin n’était pas là, et bien disons que le vieil homme mit les deux pieds dans le plat de macaronis au fromage. Le genre de plat qui vous colle aux pattes quand vous essayez de vous en extirper.
Mémoire, ô ma bonne mémoire, dis-moi qui est le plus oublieux ?
– C’est tOOooiiii
Tahina Yapara
Professeure de Guérison
Heureusement, ce n'était que le goût du breuvage qui était la cause de la moue du directeur. La Guyanaise se nota dans un coin de la tête qu'il faudrait qu'elle en touche un mot à Renata, histoire qu'elle ne soit pas surprise si jamais Aliaume venait à lui parler de la "bouteille" qu'il avait goûtée et n'appréciait guère.
"Ou peut-être, tout simplement, faut-il boire cette bouteille avec un dessert ? Quelque chose de moins marqué en tout cas que le champignon dont le goût peut masquer tout le reste." finit-elle par répondre, préférant continuer à donner le change, ne sachant pas si le vieil homme ne se vexerait pas qu'elle se soit ainsi joué de lui s'il venait à comprendre le subterfuge.
Enfin, vu qu'elle n'est pas forcément bonne actrice, il valait mieux que tout ça ne dure pas des lustres. Mais comment se sortir du guêpier où elle s'était fourrée ? Une fois encore, sans réellement s'en rendre compte - ou peut-être que si, en fait ? - c'est Aliaume qui lui offrit la solution sur un plateau. Il était tellement toujours à côté de la plaque, c'en aurait presque été risible si ce n'était pas si déstabilisant. La Belgique ? Mais d'où il allait pêcher ça, franchement ?
"Je ne doute pas que la Belgique soit un pays magnifique mais... enfin, je n'y ai jamais mis les pieds donc peut-on parler de manque quand on ne connait pas ?"
C'était encore un symptôme dû au champignon ou tout simplement ça ne tournait pas rond dans sa caboche ?
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
« L’un de mes meilleurs amis d’enfance était belge. Anselm il s’appelait... ou Arnaud, je ne sais plus très bien, mais ça n’a pas son importance. A l’été mille neuf cent trente-huit, il m’a invité à séjourner dans sa famille. Cet été-là, la Coupe du Monde s’enracinait dans la région flamande de la Belgique. Je m’en souviens comme si c’était hier... Vous auriez vu ces champs plein à craquer de sorciers venus des quatre coins du monde Tahina, et l’ambiance que les supporters belges ont mis... ils étaient inépuisables ! Si vous ne connaissez pas encore la Belgique, il faudrait songer à vous prendre des vacances là-bas. Vous ne serez pas déçue du voyage, croyez-moi. En matière de breuvages magiques, ils pourraient bien vous surprendre. »
Content de son petit discours, Aliaume s’arrêta près d’une étagère en désordre, comme toutes les affaires de Tahina si on se fiait au reste du bureau. Le vieil homme se pencha pour lire l’étiquette d’une fiole bleue intercalée entre deux grimoires mais l’écriture s’étant effacée (la faute au temps ou au manque d’entretien) il en abandonna l’idée et bascula sa tête pour lire la reliure juste à côté.
« Dans la vie d’un agrume magique... »
Son intérêt pour la Guérison étant limité (rappelons que le vieil homme n’avait pas la moindre idée que Tahina venait purement et simplement de lui sauver la vie) Aliaume lut deux trois autres reliures avant de s’éloigner des étagères et de revenir dans l’axe de l’entrée. La chaleur tropicale qui régnait dans le bureau de Tahina ne l’indisposait pas particulièrement, bien qu’il commençât à avoir soif d’eau bien fraîche. Sa robe de sorcier sans manches et ses pieds nus lui permettaient de mieux affronter ce type de micro-climat que n’importe qui d’autre au sein du corps professoral. Reste que le temps était une denrée précieuse, et certainement plus précieuse encore pour un vieux bougre de quatre-vingt-dix-sept hivers. Aussi, Aliaume résolut de ne pas accaparer plus longtemps l’espace vital de Tahina.
« Bien-bien-bien... vous avez certainement mieux à faire que d’écouter les anecdotes d’un vieil homme. Merci pour la dégustation et pour la Belgique... et bien faites-moi signe si vous avez besoin de quelqu’un pour organiser votre séjour-découverte. J’ai en mémoire deux-trois adresses qui pourraient convenir à une jeune femme telle que vous... si elles existent toujours, hm... »
Caché sous sa touffe de moustache, le sourire d’Aliaume se lut, heureusement, dans le rehaussement de ses joues et le pétillant de ses yeux.
Tahina Yapara
Professeure de Guérison
"J'y réfléchirais pour les prochaines vacances alors. Si je ne rentre pas voir ma famille, bien sûr."
Elle se passa bien de préciser que, si jamais elle allait en Belgique, elle ne goûterait sûrement pas ces fameux "breuvages magiques". Non qu'elle ne buvait pas de temps à autre mais c'était surtout qu'elle visiterait plus certainement la partie non mag' que la partie sorcière. En évoluant toute l'année dans ce que tout le monde considérait comme le monde auquel elle appartenait vraiment, elle avait un besoin vital de faire une pause. Même si c'était un peu plus simple les années passant, ça n'en restait pas moins épuisant pour elle ce milieu qu'elle ne comprenait pas complètement... et où elle se méfiait de presque tout. Elle haussa quand même les sourcils en entendant Aliaume parler d'adresses pour "une jeune femme comme elle". Il entendait quoi par là ? Décidément, elle n'arriverait jamais à le cerner et pourtant, ce n'était pas faute d'essayer. Elle ne désespérait pas même si chaque rencontre lui donnait l'impression de reculer plutôt que d'en apprendre plus.
"Euh oui, pourquoi pas. Enfin, pas pour cette année mais pour la suivante. Là, je me laisserais bien tenter par l'Espagne ou le Portugal, si Santana ou Leandro veulent bien m’accueillir."
Et puis, surtout, c'était des pays qu'elle imaginait facilement ensoleillés alors que la Belgique... elle pouvait se tromper même si elle y imaginait un climat nettement plus frais et que... ben ça la faisait moins rêver, fallait être honnête. Enfin, il serait toujours temps d'y penser plus tard et pourquoi pas d'en discuter avec Leen aussi si jamais elle se lançait sur cette idée.
"Et vous, quel pays vous attire pour les vacances ?"
Ça lui semblait être la question à poster. Du moins, celle que Santana lui aurait soufflé, pour qu'elle soit aimable, si jamais elle avait été là. Et puis, ça l'intriguait et si jamais elle pouvait glaner quelques informations pour mieux comprendre le vieil homme, c'était toujours bon à prendre.
Aliaume Delalande
Directeur & Professeur d’Alchimie
Si seulement elle savait que sa vue n’était plus tout à fait aussi perçante qu’autrefois ! Pensif, la main droite fermement cramponnée à son bâton de marche, la gauche peignant sa longue barbe — en s’empêtrant dans quelques noeuds, il ne faut pas pousser — le vieil homme passa en revue une liste non-exhaustive de destinations avant que son cerveau tortueux ne retentisse, telle une énorme machine à sous, pour l’avertir qu’une réponse était plus évidente que les autres. Tout sourire, il déclara :
« La Laponie ! »
Il laissa l’idée faire son bonhomme de chemin et poursuivit sans laisser à Tahina le loisir de réagir immédiatement.
« Il parait que les non-mag’ y vénèrent un espèce de druide qui leur distribue des cadeaux à la fin de l’année. Je serais très curieux de rencontrer ce monsieur et de voir sa magie à l’œuvre. Assurément, ça doit être quelque chose. Certains de mes confrères pensent qu’il aurait développé une variante particulièrement puissante du sortilège d’Extension pour transporter un nombre considérables d’offrandes sur un chariot qu’il aurait soumis à des charmes de Lévitation. Ingénieux ! Hm, je me demande s’il a fait ses classes à Durmstrang… »
Aliaume prit le temps de la réflexion, l’air toujours aussi plongé dans ses pensées indéchiffrables — quand bien même elles auraient été exposées aux yeux du tout-venant.
« … comment pourrait-il en être autrement ceci dit ! »
Ses joues rehaussées par son sourire à peine déchiffrable sous son épaisse moustache, le vieux directeur leva la main pour saluer sa jeune professeure.
« Encore merci pour la dégustation. La prochaine fois, c’est moi qui régale ! Si je remets la main sur cette maudite recette de gâteaux-aux-saveurs-d’antan… la coquine prend plaisir à jouer les marque-page dans mon bureau… »
Prenant appui sur son bâton, Aliaume tourna le dos à Tahina et prit congé d’elle sur cette phrase qu’il ne termina même pas, trop distrait qu’il était par la beauté du ciel au sortir du bureau.
[FIN]
Tahina Yapara
Professeure de Guérison
Évidemment, Aliaume ne pouvait pas comprendre vu qu'il semblait ne pas bien maîtriser l'univers non magique mais, sincèrement, s'il prenait un peu de ventre, il pourrait lui même faire illusion dans les galeries commerciales au moment des fêtes de Noël pour prendre les enfants sur ses genoux et les entendre raconter ce qu'ils aimeraient le plus au monde comme cadeaux sous le sapin. Et elle aurait payé cher pour assister à la scène tant les réponses du vieil homme auraient certainement été mythiques et incompréhensibles pour les jeunes non mag'. Peut-être pourrait-elle se débrouiller pour vivre la situation ? Y'avait fort à parier qu'Aliaume pourrait se laisser convaincre... en usant d'une subterfuge.
"Un pays certainement magnifique mais bien trop froid pour moi. Ou alors, en demandant à Santana d'enchanter tous mes vêtements pour avoir chaud ? Hmm, ça pourrait être une solution mais je suis quand même plus sensible au sable, au soleil et à la chaleur plutôt qu'au blizzard et à la neige."
Mais l'homme ne l'écoutait déjà plus. Il parlait déjà de l'inviter une prochaine fois pour une dégustation et... et puis l'idée n'enchantait guère la guérisseuse, il fallait être honnête. Vu l'épisode avec les champignons, qui sait ce qu'il était capable de mettre dans sa recette de gâteaux. Des baies empoisonnées à la place de cerises ? Autant dire qu'elle ne goûterait certainement pas à la pâtisserie mais qu'elle ne pourrait pas décliner pour autant l'invitation, au cas où son supérieur tente encore - bien inconsciemment - de se tuer. Elle soupira avant de murmurer un "au revoir" qu'elle était certaine de voir tomber dans l'oreille d'un sourd. Elle regarda l'étrange bonhomme partir et sortit de ses pensées pour ranger les restants de potion avant de quitter le dispensaire à son tour.
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